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N° 978 N° 492
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ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
____________________________________ ____________________________________
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale Annexe au procès-verbal de la séance du 11 juin 1998
le 11 juin 1998

________________________

 

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

 

 

 

 

RAPPORT
sur l’aval du cycle nucléaire

Par
MM. Christian BATAILLE et Robert GALLEY,
Députés

 

 

Tome I : Etude générale

 

 

__________ __________
Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Jean-Yves LE DÉAUT, par M. Henri REVOL,
Président de l'Office. Vice-Président de l'Office.

 

Déchets, pollution et nuisances

TABLE DES MATIERES

 

 

 

AVANT PROPOS 7

Introduction générale 11

1. La problématique recyclage – stockage pour le combustible

irradié et le plutonium de retraitement 15

Introduction 11

  • des installations de retraitement opérationnelles jusqu’en 203017
  • le poids économique du retraitement18
  • les deux faces du retraitement : le recyclage des actinides majeurs

– uranium, plutonium – et la réduction de la toxicité des déchets 19

1.1. le plutonium : flux et stocks 23

  • une récente transparence sur les stocks de plutonium23
  • Cogema transparente sur le plutonium : il suffisait de le demander26
  • le stock de plutonium d’EDF stabilisé à vingtaine de tonnes30
  • réglementation sur le plutonium et coût du retraitement30

1.2. la montée des isotopes pairs du plutonium au cours de l’irradiation,

une donnée fondamentale pour les combustibles et les réacteurs

actuels ou futurs 32

  • montée des isotopes pairs et recyclage du plutonium32
  • les isotopes pairs du plutonium, poisons des réacteurs à neutrons

thermiques et excellents combustibles pour les réacteurs

à neutrons rapides 34

1.3. le plutonium considéré comme déchet et son immobilisation

dans des matrices à longue durée de vie 35

  • le plutonium militaire issu du démantèlement des armes, un sujet

brûlant mais bloqué aux Etats-Unis 36

  • le WIPP ou le tabou brisé du plutonium en stockage géologique36
  • de nouvelles matrices d’immobilisation à très long terme

pour le plutonium 37

 

1.4. les contraintes techniques du plutonium considéré comme un

combustible et les limites de son recyclage dans le Mox 39

  • plusieurs types de Mox et plusieurs configurations de cœur

contenant du Mox 39

  • un maximum de 12 % de plutonium dans le Mox41
  • la modification du design initial des réacteurs 900 MWe et

la limitation du pourcentage d’assemblages Mox à 30 % du total 43

  • l’introduction du Mox dans les réacteurs de 1300 MWe

envisageable à l’horizon 2005 45

  • le Mox dans les réacteurs de 1450 MWe : un problème

analogue à celui des réacteurs 1300 MWe 46

  • le Mox et l’EPR : une question stratégique46
  • la faisabilité et l’opportunité du retraitement du Mox49
  • le combustible Mix : une solution coûteuse et peu efficace

vis-à-vis du plutonium 50

1.5. EDF bloquée à 16 tranches mais candidate pour 12 autorisations supplémentaires 51

  • une stratégie globale de l’aval du cycle51
  • EDF soucieuse d’obtenir l’autorisation de moxer 28 tranches51
  • en cas de limitation à 16 tranches, l’abandon du principe d’égalité

des flux ou la diminution des quantités retraitées et donc des

suppressions d’emploi 53

  • une attitude prudente pour le reste du parc54
  • pour un EPR moxé à 15 %55
  • l’urgence de prendre une décision sur l’EPR55
  • adaptations stratégiques et transposition de la directive européenne

sur l’ouverture du marché de l’électricité 56

1.6. le plaidoyer de Cogema en faveur de l’équilibre économique

du cycle du combustible 56

  • la solution au problème du plutonium : le retraitement et le Mox

à 100%, selon Cogema 56

  • l’équilibre global de l’aval du cycle selon Cogema57
  • Cogema en attente des autorisations de dimensionnement optimal

de ses installations de fabrication de Mox 59

1.7. la nécessité d’opter pour le Mox mais aussi d’augmenter les

marges disponibles pour l’entreposage du combustible irradié

non retraité 59

  • La France dans la ligne internationale pour le recours au Mox60
  • le Mox promu aux Etats-Unis par les négociations

stratégiques avec la Russie 61

  • le Mox irradié, une bonne matrice d’immobilisation

du plutonium 61

  • la nécessité d’augmenter les marges d’entreposage du

combustible irradié 62

 

2. Les limites probables de la séparation et de la transmutation

et le dilemme transmutation-stockage 65

 

2.1. les difficultés de la séparation 66

  • la séparation du neptunium et du technétium, un problème réglé67
  • l’américium et le curium, deux actinides mineurs particulièrement encombrants68
  • le bloc difficile à entamer de l’américium et du curium69
  • la séparation des produits de fission71
  • le butoir du césium73
  • une connaissance de plus en plus fine des combustibles irradiés73
  • le coût probablement important de la séparation74
  • la diminution des volumes des rejets et des déchets B76

2.2. les limites des études sur la transmutation avec Phénix 77

  • la remontée en puissance de Phénix78
  • les conséquences de la fermeture de Superphénix sur les études

relatives à la transmutation 79

  • les conditions techniques des expériences de transmutation80
  • les expériences CAPRA utiles pour l’étude du recyclage du

plutonium 81

  • les expériences SPIN pour la transmutation des actinides mineurs

et des produits de fission à vie longue 81

 

2.3. le réacteur Jules Horowitz et les études sur la

transmutation : un lien hypothétique 83

2.4. le réacteur hybride, médaille d’or du marketing scientifique 84

  • de nombreux projets diversifiés et à objectifs multiples proposés

dans le monde entier 84

  • le projet français de réacteur hybride88
  • un démonstrateur de réacteur hybride original88
  • un investissement international89
  • quels intervenants pour la France ?90
  • l’attitude prudente des Etats-Unis : oui à la spallation, non à un

réacteur hybride 90

  • un projet dont la finalité et le coût doivent être précisés91
  • des options techniques et une sûreté encore bien floue92
  • une application opérationnelle après la décision ?93

2.5. la question des quantités transmutables et le problème

du tout ou rien 94

  • les ordres de grandeur des quantités transmutables95
  • deux questions difficiles : la vitesse et le rendement de la

transmutation 99

  • une dizaine d’années pour transmuter ?99
  • de 7 à 12 RNR pour réduire les flux d’actinides mineurs100
  • le miracle attendu des réacteurs " papier "102
  • la question du tout ou rien104

 

3. Le choix de l’entreposage ou du stockage et la problématique

de la réversibilité 105

 

Introduction 106

  • la classification française des déchets radioactifs106
  • le conditionnement des déchets107
  • les politiques nationales de gestion des déchets radioactifs107

3.1. la sûreté maximale est-elle apportée par le stockage

en couche profonde ? 112

  • la multiplication des barrières112
  • un confinement satisfaisant selon les modèles de cinétiques

de dissolution 114

  • l’immobilisation naturelle de radioéléments sur des

millions d’années 114

  • avec les céramiques, peut-être l’immobilisation des actinides

mineurs et des produits de fission sur 2 milliards d’années,

sauf accident naturel ou provoqué par l’Homme 115

  • la nécessité de construire au moins deux laboratoires souterrains116
  • des investissements et des coûts d’exploitation

à la portée de la filière 118

3.2. les contraintes de sûreté de la surface ou de la sub-surface 119

  • le retour d’expérience de Cascad, installation d’entreposage de

combustibles irradiés 119

  • des précautions multiples pour assurer la sûreté et en sub-surface120
  • l’opposition ou la complémentarité surface – sub-surface121

3.3 le prix de la réversibilité 122

3.4. la charge pesant sur les générations futures 123

3.5. la nécessité d’éviter des décisions hâtives

ou les ordonnances " minute " 124

 

4. Le jeu institutionnel des acteurs de l’aval du cycle : réussites et débordements 125

 

4.1. la commission nationale d’évaluation : du jury de thèse

au gouvernement mandarinal 125

  • la mission fixée par la loi : aider le Gouvernement à informer

le Parlement 125

  • une solennité et une séquence symboliques126
  • l’affaire du site granitique : information, évaluation ou décision ?127
  • un jury de thèse souverain128
  • l’impossibilité d’un gouvernement mandarinal de la recherche

sur les déchets radioactifs 129

4.2. le nouvel engagement du CEA 130

  • un réel effort intellectuel et budgétaire130
  • une surcharge et une urgence préjudiciables à de bonnes décisions131

4.3.L’Andra, un organisme qui doit affirmer

sa compétence scientifique 131

 

5. Optimiser la durée et les coûts 133

 

5.1. les rendez-vous essentiels 135

  • la démarche progressive de la loi de 1991135
  • quelques difficultés incontournables à relever en temps et en heure136

 

5.2. remettre à l’honneur la rationalisation des choix

d’investissement 138

 

Conclusion 141

 

Recommandations 143

Examen du rapport par l’Office 145

Annexe 1 : Personnalités auditionnées 147

Annexe 2 : Glossaire 149

 

AVANT – PROPOS

 

 

Malgré les campagnes de dénigrement et les attaques insidieuses ou non fondées dont elle fait l’objet dans le monde et, depuis quelque temps, dans notre pays, l’énergie nucléaire n’est pas condamnée, loin s’en faut. On peut même affirmer qu’il s’agit, à partir des considérations techniques, économiques et politiques actuelles, d’une énergie décisive à l’horizon du siècle qui vient.

 

Il ne sert à rien de proclamer que l’on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre si l’on se refuse à utiliser le seul mode actuel de production massive d’électricité qui soit à la fois efficace et sans rejet carbonique dans l’atmosphère. Toutes les ressources potentielles de production électrique à partir de l'énergie hydraulique doivent être exploitées. Les énergies renouvelables peuvent et doivent être développées ; cependant leur faible rendement ne permet pas, pour le moment, de les considérer comme une énergie de substitution, mais au mieux comme une énergie de complément.

L’abandon du nucléaire se traduirait de fait par un recours accru aux énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz, et donc par une augmentation conséquente de l’effet de serre. Il faut redire, de ce point de vue, que le gaz naturel n’offre pas d’avantages particuliers par rapport au charbon ou au pétrole et que le dilemme dans notre pays se situe entre l’énergie nucléaire ou le gaz, la gestion des déchets ou l’effet de serre.

A l’aune de l’histoire, l’énergie nucléaire à partir de la fission représente, comme bien d’autres, une solution transitoire. Les progrès scientifiques et techniques permettent d’espérer, à long terme, une source d’énergie qui n’aurait pas les inconvénients liés à la radioactivité. Cependant, à l’heure actuelle, elle reste la solution la plus équilibrée. Prétendre qu’il serait possible de " sortir du nucléaire " dans les années qui viennent relève de l’incantation et du vœu pieu, contradictoire avec les objectifs du sommet de Kyoto et les fondamentaux de l'économie. Qu’arrivera-t-il quand les Chinois, les Indiens, se donneront tous les moyens pour tendre vers notre niveau de consommation d’énergie (ce qui serait parfaitement légitime de leur part) en recourant exclusivement aux énergies fossiles ? Les efforts des pays développés, aujourd’hui les plus voraces en énergie à effet de serre, n’en seraient que plus justifiés.

 

Ces évidences n’exonèrent pas l’industrie nucléaire des critiques qui s’imposent. Comme cela a été dit, à maintes reprises, dans les rapports de l’Office parlementaire d’évaluation, cette industrie est une industrie qui manipule des produits dangereux et qui, à ce titre, doit être contrôlée par les autorités de sûreté spécialisées, mais également être étroitement surveillée par les pouvoirs publics et, en particulier, par le Parlement.

Que ses promoteurs l’acceptent ou non, l’énergie nucléaire est perçue dans le public comme une industrie particulière dans laquelle les règles de sûreté doivent être appliquées sans aucune défaillance et dans laquelle la transparence doit être totale. C’est un fait ! Par suite d'un passé lointain, on est bien plus vigilant sur la radioactivité que sur la présence de mercure ou de plomb, on considère que le problème de la couche stratosphérique d'ozone n'est pas urgent !

 

En quelques années, les esprits ont sensiblement évolué dans ce domaine et le Parlement, par le biais de l’Office, a accès très largement à l’information. Notre problème est plutôt, désormais, de savoir comment nous allons gérer et exploiter la masse de documents qui nous arrive régulièrement. On peut toutefois regretter qu’une certaine culture de l’autosatisfaction et de la non-transparence vienne conforter les arguments de ceux qui ont décidé, une fois pour toutes, que tout était opaque et secret dans le secteur de l’industrie nucléaire, comme il l'était pour l'énergie atomique militaire.

 

Le problème de la dissimulation des informations dans le transport des combustibles irradiés en est une bien piteuse illustration. Pourtant, les responsables devraient comprendre que la transparence renforce la crédibilité du secteur nucléaire vis-à-vis de l’opinion publique, comme cela a d'ailleurs été le cas pour la production des centrales électronucléaires d'EDF. A la fin des années quatre-vingt, il y eut des campagnes de révélations prétendument sensationnelles qui caricaturaient le problème des déchets de faible activité. La loi du 30 décembre 1991, en organisant la publication, chaque année, de l’inventaire des déchets, a largement contribué à apaiser une opinion inquiète parce que peu ou pas informée.

Allons-nous pouvoir désormais aller plus loin et faire en sorte que les responsables politiques puissent exercer normalement leurs pouvoirs de contrôle dans le domaine de l’énergie ?

 

Le temps où quelques ingénieurs pouvaient décider seuls de la politique énergétique du pays est révolu. Il ne doit plus exister de domaine réservé duquel les citoyens et leurs représentants seraient exclus au profit d’une technostructure qui imposerait une pensée unique qu’elle serait seule à définir.

 

Discuter ouvertement, librement, avec l’esprit critique, des grandes orientations du cycle du combustible nucléaire ne porte pas, au contraire, condamnation de l’ensemble de la filière. Par contre, cette industrie, comme toutes les autres, doit pouvoir s’adapter aux réalités nouvelles et aux attentes des citoyens.

L’industrie nucléaire française a, en son temps, surmonté l’abandon de la filière graphite-gaz. De la même manière, elle acceptera les adaptations du cycle du combustible avec la souplesse nécessaire.

 

La gestion de l’aval du cycle est aujourd’hui un problème décisif. Le temps est venu de réviser certains dogmes qui ne correspondent plus à la réalité économique et industrielle. Le " tout retraitement " fait partie de ces dogmes qui ont fait leur temps. Dire clairement, comme nous l’avions fait dans un précédent rapport de l’Office, que tout le combustible irradié ne sera plus retraité ne porte pas atteinte à l’industrie nucléaire, mais doit entraîner des adaptations claires de la stratégie industrielle.

Au lieu de continuer à se comporter comme si les problèmes ne se posaient pas, il vaudrait mieux se donner les moyens pour approfondir la réflexion et, ensuite, prendre des décisions sur la destination finale qui sera réservée aux éléments de combustible qui ne seront pas retraités.

 

Il en est de même pour le combustible Mox usé que, de toute évidence, l’utilisateur EDF ne souhaite pas voir retraité.

Ce rapport démontre, par ailleurs, que nous avons un stock de plutonium de 65,4 tonnes, très supérieur à la marge de réserve de 20 tonnes estimée nécessaire par EDF. Nous devons, dès aujourd’hui, examiner la manière dont nous pourrons soit utiliser, soit stocker une partie du plutonium déjà extrait et qui ne trouvera pas de débouché à moyen terme.

 

Toutes les voies pour la gestion de l’aval du cycle doivent donc rester ouvertes : la recherche fondamentale, la recherche en laboratoires, et l’étude de la faisabilité du stockage de longue durée en surface. Il est possible et même probable que, pour la gestion finale des déchets nucléaires, il n’y ait pas une voie unique, mais que le Parlement ait à se prononcer en 2006 sur des solutions combinant les trois voies de la loi de 1991.

 

Dans le domaine du nucléaire, comme dans beaucoup d’autres domaines liés au progrès scientifique, il faut savoir s’adapter et réviser des conceptions trop rigides et dogmatiques. La pire des solutions serait, face aux incertitudes que ce rapport recense, de rester passif et de reporter sur les générations futures la solution de problèmes que nous avons posés et que nous n’aurions pas le courage de résoudre. L’avenir de l’énergie nucléaire repose sur les solutions pour l’aval du cycle.

 

Le problème est difficile mais n’est pas insurmontable. Il faut poser les problèmes, soutenir les recherches, préciser les étapes du calendrier, avancer les solutions les unes après les autres.

 

La voie est étroite entre un pouvoir technicien antidémocratique et opaque et l’agitation désordonnée de minorités qui nous conduisent à l’impasse ou nous emmèneraient au désastre. Chacun voudrait imposer ses a priori, ses idées toutes faites. Or, ce qui est décisif est de préserver une pluralité de réponses possibles et, de ce point de vue, l’évolution des connaissances, les résultats des recherches examinés objectivement nous apporteront des enseignements précieux.

 

Divers rapports de l’Office ont déjà souligné les aspects néfastes d’une culture nucléaire monolithique et dépourvue de souplesse. Ils ont, avant tout, mis en exergue la nécessité d’une pratique tolérante, maintenant dans l’avenir le plus grand nombre de solutions possibles. D’aucuns veulent aujourd’hui fermer les portes maintenues ouvertes par la loi de 1991. Par-delà l’irrationalité de cette réaction, faut-il voir un avatar supplémentaire de la pensée unique ?

 

La démocratie a encore bien des domaines à défricher et à conquérir, là où le débat public doit se substituer aussi bien à l’autoritarisme qu’aux conciliabules de couloir. L’énergie nucléaire et sa domestication sur tout le XXIe siècle est un de ces nouveaux territoires que la démocratie doit irriguer.

 

Notre société, ses élus, ses dirigeants s’interrogent sur la pérennité de choix qui, au demeurant, se sont jusqu’alors révélés pertinents. Quoi de plus naturel que ces interrogations, surtout quand il s'agit de poursuivre à long terme ?

 

Mais il faut aussi avancer en rythme et sans précipitation. Nous pouvons sortir de cette étape par le haut. Une pratique plus transparente, plus tolérante, plus démocratique sera plus en harmonie avec le temps qui vient.

 

 

 

 

 

 

Introduction générale

 

 

Depuis 1991, pour répondre aux attentes des citoyens et aux impératifs de la filière nucléaire, la question de la gestion des déchets nucléaires est traitée au grand jour. La loi du 30 décembre 1991 définit d'une part un cadre législatif qui donne toute garantie sur l'intervention du Parlement pour les décisions clés. Elle fixe d'autre part un horizon de temps et une méthode pour les études à conduire et les réalisations à mettre en œuvre dans le but d'apporter les meilleures solutions au traitement des déchets nucléaires.

 

S'agissant des études à conduire, la loi du 30 décembre 1991, dans son article 4, définit trois axes principaux :

 

 

"– la recherche de solutions permettant la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue présents dans ces déchets,

– l'étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes, notamment grâce à la réalisation de laboratoires souterrains,

– l'étude des procédés de conditionnement et d'entreposage de longue durée en surface de ces déchets."

 

Après avoir joué un rôle déterminant dans l'élaboration et l'adoption de la loi, l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques a, quant à lui, continué de suivre le problème, d'une part en étudiant les rapports annuels de la commission nationale d'évaluation et, d'autre part, en publiant un nouveau rapport en mars 1996 sur les déchets nucléaires à haute activité civils et en décembre 1997 sur les déchets nucléaires à haute activité militaires.

 

L'Office parlementaire a, d'autre part, été associé à la mission confiée en décembre 1996 à M. Claude Mandil, Directeur général de l'Énergie et à M. Philippe Vesseron, Directeur de la prévention des pollutions et des risques. L'Office avait alors demandé à vos Rapporteurs, en charge d’une étude transmise à l'Office par la Commission de la Production et des Échanges, d'assurer le suivi des travaux de cette mission. La dissolution de l'Assemblée Nationale ne leur avait cependant permis d'assister que partiellement à ces réunions.

 

Les travaux réalisés par la mission Mandil-Vesseron, auxquels avaient été associés tous les différents acteurs du nucléaire, ont servi de base aux réflexions de l'Office qui viennent compléter le document correspondant, que les deux membres du Gouvernement concernés, le Ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, et le Secrétaire d'État à l'Industrie, n'avaient pas souhaité rendre public avant que l'Office ait été réellement en mesure de se prononcer.

 

A mi-parcours du délai de 15 ans fixé par la loi pour une décision concernant un éventuel stockage souterrain des déchets, la saisine de l'Office prend une nouvelle et brûlante actualité.

 

Le moment est en effet venu de prendre une décision concernant la localisation et la construction des futurs laboratoires souterrains. La loi en prévoit en effet plusieurs . Trois sites ont fait l'objet d'avis favorables de la part de l'ANDRA, le site de Bure (Meuse) permettant des recherches sur le comportement des radionucléides dans l'argile, le site de Marcoule, près de Bagnols-sur-Cèze (Gard) pour le même type de milieu géologique et le site de La Chapelle-Bâton (Vienne) pour l'étude des radionucléides dans le granite.

 

La Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN) a pour sa part instruit les demandes d'autorisation pour la création d'un laboratoire souterrain sur chacun des sites, de sorte qu’il appartient aujourd’hui au Gouvernement de prendre sa décision.

 

Par ailleurs, la fermeture de Superphénix, annoncée par le Premier ministre le 19 juin 1997, a été confirmée lors du comité interministériel du 2 février 1998. Or, depuis le décret du 11 juillet 1994, le rôle assigné à Superphénix était celui d'être une installation de recherche pour l'incinération du plutonium et des déchets nucléaires à haute activité, cette installation devant occuper ainsi une place très importante dans le dispositif prévu par la loi de 1991.

 

Il est certes prévu que Phénix devienne à brève échéance un outil de remplacement. Mais il y a lieu de vérifier en détail si cette substitution est possible. Les puissances de ces deux réacteurs à neutrons rapides diffèrent en effet fortement : 250 MWe pour Phénix contre 1 200 MWe pour Superphénix. Leurs âges respectifs et donc potentiellement leurs conditions de sûreté sont également très différents : Phénix a été mis en service en 1973 et Superphénix en 1985.

 

La Commission d’enquête sur Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides, dont vos Rapporteurs sont Président et Rapporteur, examine actuellement les conditions de la remontée en puissance de Phénix. Dans le cadre de leur étude sur l’aval du cycle, vos Rapporteurs ont centré leurs recherches sur les résultats attendus des expériences prévues avec Phénix sur l’axe 1 de la loi de 1991.

 

Une troisième évolution, qui se traduit aujourd'hui avec force dans le débat politique, renforce la nécessité de nouveaux rapports de l'Office parlementaire.

 

Les trois axes de recherche prévus par la loi de 1991 couvrent bien l'éventail du possible. Les études à réaliser doivent porter, ainsi qu'on l'a rappelé plus haut, sur le stockage réversible ou irréversible des déchets à haute activité.

 

Dès 1991, il n'était pas en effet exclu que l'on ne puisse en quinze ans mettre au point les technologies permettant de casser des composés radioactifs de période se comptant en millions d'années comme ceux du neptunium 237 ou du césium 135 en composés radioactifs de période de quelques dizaines d'années.

 

En cette mi-1998, cette question clé ne semble pas avoir encore reçu de réponse. La reprise des déchets constitue donc toujours une option à explorer. Elle semble d'ailleurs prendre une importance critique dans le public et dans le débat politique. Corrélativement, les techniques de conditionnement et d'entreposage de longue durée en surface, en sub-surface ou en profondeur revêtent une importance capitale si l'on veut garantir la réversibilité des options. Dès lors, il convient d'examiner avec une attention toute particulière l'état d'avancement des recherches correspondantes.

 

Le présent rapport examine les résultats obtenus dans chacun de trois domaines de recherche, leur portée et leurs limites.

 

Mais la problématique du retraitement constituant la toile de fond de l’aval du cycle, vos Rapporteurs l’étudient d’abord en n’omettant évidemment pas de traiter du recyclage du plutonium par la seule voie désormais possible après la fermeture de Superphénix, c’est-à-dire la voie du Mox. Les limites que pourraient présenter les techniques de séparation et de transmutation sont ensuite examinées. La question décisive pour l’avenir est bien en effet de savoir quelles quantités de radioéléments à haute activité et à vie longue pourront être transmutées, avec quels équipements et à quelle vitesse.

 

La problématique du choix entre l’entreposage et le stockage en découle naturellement. Présentée à la fin des années 80 comme la seule solution rationnelle de gestion des déchets à vie longue, la méthode du stockage irréversible est désormais confrontée à celle de l’entreposage, par définition réversible. L’entreposage devrait permettre d’assurer la réversibilité et de conserver des marges d’action, par rapport à l’évolution des techniques et des marchés. Vos Rapporteurs proposent d’examiner à quelles conditions de délais, de coûts et de sûreté cet objectif pourrait être atteint.

 

En réalité, à mi-parcours du temps prévu par la loi de 1991 pour réunir les connaissances qui permettront en 2006, et seulement à cette date, de décider de l’organisation générale de la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue, il apparaît bien qu’il n’existe aucun antagonisme entre les 3 axes de recherche. Sans doute, à l’avenir, la gestion des déchets hautement radioactifs mettra-t-elle en œuvre une combinaison de techniques relevant de ces trois domaines.

Incinération, entreposage ou stockage, en surface ou en profondeur : ces trois techniques de gestion des déchets radioactifs à haute activité doivent, en tout état de cause, continuer d’être explorées simultanément et à parité, afin qu’en 2006, le Parlement puisse décider en toute connaissance de cause des solutions que la communauté scientifique et le Gouvernement lui présenteront.

 

 

 

 

1. La problématique recyclage – stockage pour le combustible irradié et le plutonium de retraitement

 

Plus qu’aucune autre question portant sur la filière nucléaire, la question du retraitement suscite des controverses. Il paraît important de reprendre les données de base du problème.

 

Pour les uns, le retraitement, par l’ampleur et la durée des investissements qu’il nécessite, introduit une rigidité dans les choix de la filière. Pour les autres, le retraitement est effectivement la clé de la cohérence de celle-ci, en ce qu’il apporte une double contribution économique et dans un certain sens écologique à l’équilibre de la filière.

 

La problématique recyclage-stockage est bien sûr conditionnée en France par l’existence d’une industrie qui a un poids économique très important. Il faut par ailleurs souligner que le recyclage du plutonium et de l’uranium des combustibles usés permet une réduction de la toxicité des déchets.

 

Une fois rappelées ces données fondamentales, vos Rapporteurs examinent dans la suite l’importante question du plutonium sous le triple aspect de sa physique, de ses stocks et des flux correspondants. La question du plutonium considéré comme déchet est ensuite traitée. Mais, compte tenu du potentiel énergétique et de la toxicité du plutonium, la France s’est engagée dans la voie du recyclage et de sa valorisation dans le combustible Mox. Les différentes contraintes techniques portant sur la composition et l’utilisation du Mox sont détaillées ultérieurement. EDF souhaite porter à 28 réacteurs sur 58 les autorisations de chargement. Cogema quant à elle souligne que les installations du cycle du combustible sont calibrées pour cette situation et verraient leur rentabilité économique ruinée si l’on s’arrêtait " au milieu du gué ".

 

Au total, il apparaît clairement à vos Rapporteurs que la France est désormais dans une situation de retraitement d’une partie encore indéfinie des combustibles irradiés. Deux ans après que votre Rapporteur a révélé en mars 1996 qu’une partie substantielle du combustible n’allait pas être retraitée, il se confirme que l’aval du cycle nucléaire est désormais dual en France.

 

Une partie du combustible est retraitée et une autre, un tiers, ne l’est pas. Il s’agit d’une situation de fait qui ne traduit pas la victoire des partisans du non-retraitement sur ceux du retraitement mais qui est la résultante d’arbitrages économiques. Pour commencer à en tirer les conséquences, peut-être faut-il redonner une marge d’évolution à un ensemble d’entreposage à court terme proche de la saturation. Mais il faut surtout tirer les conclusions de cette situation pour l’avenir et prévoir avec plus de précision des techniques d’entreposage à moyen terme voire de stockage à très long terme pour les combustibles irradiés non retraités.

 

 

 

 

Introduction

 

Le contexte de l’aval du cycle français est sans équivalent dans le monde, dans la mesure où l’objectif de l’ensemble des opérateurs a été de maîtriser l’ensemble des techniques susceptibles d’intervenir dans la filière. A la prise en compte du contexte économique doit s’ajouter, pour recenser tous les paramètres de décision, une inscription des problèmes dans une réalité physique de base, celle de la fission des éléments lourds que sont l’uranium et le plutonium.

  • des installations de retraitement opérationnelles jusqu’en 2030

L’industrie française du retraitement est la 1ère du monde. Il s’agit là de l’un des domaines où une politique volontariste et globale, conjuguée à un savoir-faire technologique de premier plan, a porté la France à la pointe des industries mondiales. Pour les détracteurs du retraitement, cette singularité dénote, au contraire, un isolement de la France et, somme toute, remet en cause la pertinence du choix du recyclage. En réalité, vos Rapporteurs estiment que c’est sans doute cette position dominante qui a permis à l’industrie française de vendre des centrales à l’étranger. C’est aussi d’ailleurs la raison de la concentration des attaques d’organisations internationales qui visent plus la France que les choix industriels qu’elle incarne.

 

Tableau 1 : l’industrie du retraitement dans le monde

 

Pays

opérateur

site

capacité finale

France

Cogema

La Hague

1 600 t/an

Royaume-Uni

BNFL

Sellafield

900 t/an

Japon

JNFL

Rokkasho-Mura (mise en service après 2003)

800 t/an

 

PNC

Tokaï-Mura (arrêt après 2003)

90 t/an

Russie

 

Tcheliabinsk-65

400 t/an

   

Krasnoïarsk (inachevée)

1 500 t/an

 

Les principales étapes de la construction de l’outil industriel français du retraitement civil sont les suivantes :

- 1960 : choix du site de La Hague

- 1962 : définition du procédé, des matériels et des installations de retraitement

- 1966 : démarrage de l’usine UP2 de La Hague pour le retraitement du combustible uranium naturel graphite gaz (UNGG)

- 1976 : construction au sein de l’usine UP2 d’un nouvel atelier de 400 t/an (atelier HAO destiné au traitement du combustible des REP

- 1987 : arrêt du retraitement du combustible UNGG à La Hague et transfert à l’usine UP1 de Marcoule

- 1990 : mise en service de l’usine de retraitement UP3 de La Hague, dimensionnée pour 800 t/an

- 1994 : mise en service de l’usine de retraitement UP2-800

- 1998 : démantèlement de l’usine UP1 de Marcoule commencé le 1er janvier

Au final, le site de La Hague est un complexe industriel de très grande taille comprenant 6 installations nucléaires de base (INB). Le montant des investissements réalisés dans l’usine de La Hague est évalué à 90 milliards de F.

L’usine de La Hague est un outil fonctionnant selon les prévisions. Il devrait être amorti sur le plan financier vers 2001. Alors, la rentabilité augmentera fortement. Mais plus probablement, le coût total d’exploitation et par conséquent les prix de traitement des combustibles et corrélativement celui du plutonium s’abaisseront.

 

S’agissant de la durée de vie des installations, celles-ci devraient pouvoir fonctionner jusqu’en 2030-2040 environ avant d’être déclassées. L’exemple d’UP1 de Marcoule, construite entre 1955 et 1959 et opérationnelle jusqu’en 1998 montre que l’exploitation d’une telle installation peut s’étendre sur une période de 40 ans. La nature des équipements et la qualité de la maintenance à La Hague laissent présager la possibilité de gagner un large nombre d’années supplémentaires.

 

La logique économique voudrait donc que ces installations soient utilisées jusqu’à cette période et que l’option du retraitement soit confirmée d’ici à une vingtaine d’années.

  • le poids économique du retraitement

Le chiffre d’affaires de Cogema en 1997 s’est élevé à 32,65 milliards de francs, dont 16,2 milliards de F pour le retraitement . Les contrats en cours d’exécution à La Hague pour des clients étrangers représentent un chiffre d’affaires de 7 milliards de F par an sur 10 ans. Un autre indicateur du poids économique du retraitement est celui des provisions passées pour financier le futur démantèlement des installations. Le démantèlement des installations de La Hague est estimé à 26 milliards de francs. Les provisions déjà constituées atteindraient 20,6 milliards de francs et se traduiraient par des prises de participation conséquentes dans le capital de grandes entreprises nationales.

 

Sur le plan local, l’importance économique de l’usine de La Hague est majeure. Cogema emploie localement 3 000 personnes environ. Avec les personnels des entreprises sous-traitantes, le total des emplois liés au site s’élève à 6 - 8 000 personnes. Au total, le site de La Hague apporte à l’économie du nord Cotentin un quart à un tiers de son activité. Hier encore l’un des plus grands chantiers jamais conduits dans l’hexagone, La Hague continue de monter en puissance, même si la progression s’est fortement ralentie. Les travaux de modernisation de différents ateliers génèrent aujourd’hui une activité importante. On citera, à titre d’exemple, l’impact des deux derniers gros chantiers de La Hague – le nouvel atelier de conditionnement R4 et l’achèvement de l’atelier de compactage des coques et embouts – Ces constructions se sont traduites par des contrats de 280 millions de francs et d’un million d’heures de travail dont 60 % vont aux entreprises locales.

  • les deux faces du retraitement : le recyclage des actinides majeurs – uranium et plutonium – et donc la réduction de la toxicité des déchets,

D’une manière générale, le plutonium suscite l’inquiétude essentiellement par les utilisations militaires qui en ont été faites. Cette inquiétude est renforcée par sa radiotoxicité, la période de ses isotopes les plus abondants étant de surcroît de très longue durée (voir tableau ci-après). Or le plutonium apparaît inévitablement au cours de l’irradiation de l’uranium 238 par capture de neutrons thermiques, dans le combustible nucléaire classique à l’oxyde d’uranium.

 

Tableau 2 : période des différents isotopes du plutonium

 

isotope période radioactivité spontanée
Pu 236 2,85 années a – vers U 232
Pu 238 86 années a – vers U 234
Pu 239 24 400 années a – vers U 235
Pu 240 6 580 années a – vers U 236
Pu 241 14,4 années a - b
Pu 242 3,79. 105 années a – vers U 238
Pu 243 4,96 heures b

 

Le combustible à l’oxyde d’uranium comprend de l’uranium 235 fissile qui, dans les réacteurs à eau pressurisée, est présent en moyenne à hauteur de 3,5 %, le reste étant de l’uranium 238. C’est cet uranium 235 qui donne lieu à la réaction de fission et à la production d’énergie. Il n’est toutefois pas consommé en totalité : en moyenne sur 1 000 kg de combustible, on compte 35 kg d’uranium 235 au départ et on en retrouve 8 kg après l’irradiation.

 

L’isotope uranium 238 fertile quant à lui représente au départ 96,5 % du total. Lors de l’irradiation, l’uranium 238 se transforme en partie par capture d’un neutron thermique en uranium 239 instable qui donne par émission b du neptunium de période très courte et qui par le même processus se transforme en plutonium 239. Celui-ci peut capturer à son tour un neutron thermique alors qu’il subit la fission sous l’action de neutrons rapides et ainsi de suite, plusieurs isotopes du plutonium coexistant au final, selon les réactions ci-après.

 

 

Figure 1 : formation sous irradiation des isotopes du plutonium à partir de l’uranium 238

U 238 U 239 Np 239 Pu 239

 

 

Pu 240 Pu 241 Pu 242 Am 243

 

Am 241

 

L’isotope 239 du plutonium est le plus abondant car il est formé par simple capture d’un neutron par l’uranium 238. Les autres isotopes sont d’autant plus abondants que le taux de combustion est plus élevé, ainsi que le montrent les tableaux suivants. Notons qu’en fin d’irradiation, la totalité de l’uranium fertile n’est pas consommée : pour 1 000 kg de combustible, on retrouve 941 kg d’uranium 238 pour une quantité de 965 kg au départ.

 

Tableau 3 : isotopes du plutonium dans le combustible oxyde d’uranium irradié – taux de combustion : 33 000 MWj/t – après refroidissement de 3 ans

Tableau 4 ; isotopes du plutonium dans le combustible oxyde d’uranium irradié (palier N4)– taux de combustion : 47 500 MWj/t – après refroidissement de 5 ans

Le retraitement du combustible irradié se justifie pour deux raisons essentielles. En premier lieu, l’intérêt de récupérer les matières énergétiques non consommées : y figure en effet l’uranium 235 non brûlé et l’uranium 238 non transformé. En second lieu, se trouve la matière énergétique formée au cours de la combustion – le plutonium qui est elle-même une matière fissile –. Pour 1 000 kg de combustible présents au départ, le plutonium formé au cours de l’irradiation représente environ 9 kg. Or le plutonium a lui aussi un contenu énergétique encore plus élevé que l’uranium 235 en raison du fait que sa fission donne lieu à la naissance de deux fois plus de neutrons utiles pour la réaction en chaîne que ce dernier. Il n’est pas faux à cet égard de constater, en termes simplificateurs mais imagés qu’un gramme de plutonium équivaut à environ 1 tonne de pétrole.

 

A cet égard, l’industrie nucléaire propose trois voies pour le traitement du plutonium. La première est celle de l’utilisation du plutonium dans des réacteurs à neutrons rapides qui permettent de le brûler avec efficacité, tout aussi bien que d’en régénérer. La deuxième voie est celle du recyclage du plutonium dans les réacteurs à neutrons thermiques par la voie du Mox (voir plus loin). Une troisième voie consiste à considérer le plutonium comme un déchet et donc à envisager son stockage.

 

Mais, en tout état de cause, en poursuivant un but de valorisation énergétique, le retraitement atteint aussi un but potentiellement écologique. En effet, en extrayant l’uranium et le plutonium, on réduit la radiotoxicité des résidus puisque ces éléments sont responsables de la part la plus importante de celle-ci, comme les montrent les graphiques ci-après.

 

Figure 2 : radiotoxicité totale du combustible et part de chacun des éléments

La première constatation que l’on peut faire sur la base de ce graphique, c’est que la radiotoxicité totale du combustible usé décroît progressivement et devient inférieure à 1 Sv/tonne au bout de 1000 ans. La deuxième constatation est que le plutonium joue un rôle prédominant dans la radiotoxicité totale. La figure suivante, qui présente une version normalisée des mêmes résultats, permet d’expliciter le rôle des différents éléments.

Figure 3 : radiotoxicité normalisée du combustible usé

Au bout de 200 ans environ, la part des produits de fission s’annule presque quasiment. L’impact du plutonium devient massif de 100 à 50 000 ans environ. Ensuite l’uranium et les actinides mineurs américium et curium contribuent plus fortement à la radiotoxicité.

 

Par ailleurs, il faut signaler que les différents isotopes du plutonium sont eux-mêmes radioactifs et subissent des dégradations spontanées selon le tableau suivant.

 

L’organisation de la filière française de l’aval du cycle découle directement de deux constats essentiels liés à la toxicité des éléments contenus dans le combustible usé.

 

En premier lieu, il est clair qu’en valorisant par recyclage le contenu énergétique du combustible à l’uranium, on réduit aussi la toxicité des déchets. Bien évidemment, pour apprécier l’intérêt global de l’opération quant à la protection de l’environnement, la quantité de déchets intermédiaires générés par le retraitement doit aussi être prise en compte. Par ailleurs, le devenir des déchets ultimes (produits de fission à vie longue et actinides mineurs) doit trouver une solution. Mais le raisonnement à la base de la stratégie du retraitement doit être gardé en mémoire pour le cas de l’entreposage direct. En effet, l’entreposage direct du combustible irradié peut se justifier dès lors que l’on souhaiterait attendre la mise au point de techniques meilleures pour neutraliser la radioactivité. Dans ce cas, il y a tout lieu de penser que le premier objectif serait de résoudre les cas de l’uranium et surtout du plutonium. Ce qui est très exactement l’apport principal du procédé Purex qui porte sur la séparation de ces éléments.

 

En deuxième lieu, le plutonium est le principal responsable de la radiotoxicité du combustible usé. Ainsi, au bout de deux cents ans, sa part dans la radiotoxicité totale atteint 90 %. C’est pour cette raison que des normes très strictes ont été fixées pour le retraitement du combustible. Lors de la conception et de la réalisation de l’usine de La Hague, il a ainsi été fixé comme contrainte fondamentale l’obtention d’un rendement de 99 % pour la séparation du plutonium, corollaire d’une épuration à 99,9 % du plutonium en produits de fission. Les performances enregistrées ont dépassé les attentes, avec un taux de séparation de 99,9 %.

 

1.1. le plutonium : flux et stocks

 

L’évaluation des quantités de plutonium produites, réutilisées ou " sur étagère " est une question sensible. Pour des motifs de sécurité, les statistiques correspondantes ont longtemps été classées secret défense. La situation a récemment changé.

  • une récente transparence sur les stocks de plutonium

Les 9 pays possédant les plus importants stocks de plutonium ont en effet donné leur accord sur les " Guidelines for the Management of Plutonium " (Infcir/549) proposées par l'AIEA et échangé des informations sur les spécificités de leurs stocks. Les recommandations de l'AIEA portent sur une comptabilité publique des stocks. Différentes catégories de plutonium doivent être distinguées :

- plutonium séparé et non irradié sur étagère

- combustibles Mox non irradiés

- autres produits contenant du plutonium et non irradié

- et en général tout le plutonium utilisé dans des activités nucléaires pacifiques, ainsi que le plutonium classé comme inutile ou inutilisable pour des activités de défense.

Les 9 pays sont les suivants :

- pays ne possédant pas l'arme nucléaire : Belgique, Japon, Allemagne, Suisse

- pays possédant l'arme nucléaire : Chine, France, RU, Etats-Unis

Sur les 9 pays ayant adhéré aux recommandations de l'AIEA, 8 ont fourni des statistiques, seule la Chine arguant du fait que les stocks ne sont pas distincts selon qu'ils sont à usage civil ou militaire.

Le tableau suivant présente les statistiques déclarées par la France pour les années 1995 et 1996.

 

 

Tableau 5 : déclaration par la France à l’AIEA de ses stocks de plutonium pour 1995 et 1996

 

I. Statistiques annuelles pour les stocks de Plutonium civil non irradié et séparé

au 31/12/96

au 31/12/95

1. Plutonium séparé et non irradié stocké dans les usines de retraitement

43,6 tonnes

36,1 tonnes

2. Plutonium séparé et non irradié en cours de fabrication et plutonium contenu dans des produits semi-finis non irradiés localisés dans les usines de fabrication de combustible ou autres

11,3 tonnes

10,1 tonnes

3. Plutonium contenu dans des combustibles Mox non irradiés ou d’autres produits finis, dans les centrales ou ailleurs

5,0 tonnes

3,6 tonnes

4. Plutonium séparé et non irradié détenu ailleurs

5,5 tonnes

5,5 tonnes

total I

65,4 tonnes

55,3 tonnes

remarques :

   

(i) Plutonium inclus dans les catégories 1 à 4 et appartenant à des propriétaires étrangers

30 tonnes

25,7 tonnes

(ii) Plutonium sous l’une des formes 1 à 4 et détenus dans d’autres pays et donc non inclus dans les catégories 1 à 4

0,2 tonne

0,2 tonne

(iii) Plutonium en cours d’expédition à l’étranger sous la responsabilité de la France et inclus dans les catégories 1 à 4

0,0

0,0

II. Quantités estimées de plutonium contenu dans les combustibles usés des réacteurs à usage civil

au 31/12/96

au 31/12/95

1. Plutonium contenu dans les combustibles usés entreposés sur les sites des réacteurs à usage civil

64,9 tonnes

64 tonnes

2. Plutonium contenu dans les combustibles usés entreposés sur les sites des usines de retraitement

87,6 tonnes

87 tonnes

3. Plutonium contenu dans des combustibles usés entreposés ailleurs

0,0

0,0

total II

152,5 tonnes

151 tonnes

remarques

   

(i) le traitement statistique des combustibles entreposés ou stockés directement sera mis au point lorsque les décisions pour un stockage direct se seront traduites dans des réalisations concrètes

   

(ii) définition du II.1. : le chiffre correspond au combustible déchargé des réacteurs civils

   

(iii) définition du II.2. : le chiffre correspond aux quantités de plutonium contenu dans les combustibles reçus dans les usines de retraitement et non encore retraités

   

Les statistiques distinguent le plutonium séparé de celui contenu dans le combustible non retraité. En termes de prolifération, cette distinction a une portée évidente, les techniques de séparation étant difficiles à maîtriser. Il faut donc se garder de faire la somme du plutonium séparé de celui contenu dans le combustible irradié qui, si on le retraite devient du plutonium déchet.

 

Mais on ne peut que noter une augmentation de 1995 à 1996 une augmentation du plutonium dit " sur étagère ". Les chiffres 1997 sont en cours d’élaboration. Les indications données à votre Rapporteur laissent penser que cette augmentation s’est poursuivie de manière linéaire.

 

Par ailleurs, il faut souligner le fait que les 65,4 tonnes plutonium séparé sur étagères fin 1996 comprennent 30 tonnes de plutonium appartenant à des sociétés étrangères. De même, les 152,5 tonnes de plutonium contenu dans les combustibles usés comprennent aussi les combustibles étrangers en attente de retraitement.

 

Quant aux chroniques relatives aux périodes antérieures, le secrétariat d’Etat à l’industrie, arguant du fait qu’elles reposaient sur des conventions statistiques différentes, n’a pas souhaité les communiquer à vos Rapporteurs.

 

  • Cogema transparente sur le plutonium : il suffisait de le demander

 

L’ordre de grandeur des stocks doit être discuté si l’on veut s’assurer de la plausibilité des chiffres affichés. A cet égard, il est intéressant de faire un parallèle entre les montants de stocks et les quantités retraitées. Ces quantités de combustibles irradiés sont indiquées dans le tableau suivant, fourni par Cogema.

 

 

Tableau 6 : quantités annuelles de combustibles retraités à UP2 et UP3 (La Hague)

 

année - tonne

quantité retraitée à UP2

quantité retraitée à UP3

quantité de Mox retraité

quantité de combustible de RNR retraité

total

annuel

1976

14,6

-

-

-

14,6

1977

17,9

-

-

-

17,9

1978

38,3

-

-

-

38,3

1979

79,3

-

-

2,2

81,5

1980

104,9

-

-

1,5

106,4

1981

101,3

-

-

2,2

103,5

1982

153,5

-

-

-

153,5

1983

221,0

-

-

2,0

223,0

1984

255,1

-

-

2,1

257,2

1985

351,4

-

-

-

351,4

1986

332,6

-

-

-

332,6

1987

424,9

-

-

-

424,9

1988

345,7

-

-

-

345,7

1989

430,3

30,0

-

-

460,3

1990

331,0

195,0

-

-

526,0

1991

311,1

351,4

-

-

662,5

1992

219,9

448,0

4,5

-

672,4

1993

354,0

600,0

0,0

-

954,0

1994

575,9

700,4

0,0

-

1 276,3

1995

758,1

800,6

0,0

-

1 558,7

1996

862,0

818,9

0,0

-

1 680,9

1997

849,6

820,3

0,0

-

1 669,9

1998 (3 mois)

104,3

276,0

4,9

-

385,2

total

7 236,7

5 040,6

9,4

10,0

12 296,7

Le tableau suivant, fourni par Cogema, donne les chiffres précis relatifs à l’utilisation du plutonium issu du retraitement des réacteurs à eau légère. Ces chiffres excluent les quantités de plutonium de qualité militaire extraites par retraitement des combustibles UNGG.

 

Tableau 7 : fabrications, réexpéditions et stocks de plutonium provenant du retraitement à La Hague des combustibles à eau légère

 

en tonnes de plutonium total

EDF

Clients étrangers

Total

Production cumulée de plutonium (76-97)

44,8

51,5

95,9

Total des expéditions pour fabrication de combustibles

28,6

22,1

50,7

Stock PuO2

16,2

29,0

45,2

 

Ainsi, au total, ce sont 95,9 tonnes de plutonium qui ont été fabriquées à La Hague de 1976 à 1997 par retraitement des combustibles irradiés des réacteurs à eau légère.

 

Ces données correspondent aux ordres de grandeur attendus. De 1976 à fin 1996, 10 241,6 t de combustibles irradiés ont été retraitées à La Hague. Or en première approximation, le plutonium issu du retraitement représente 0,9 % du tonnage retraité, ce qui représente 92 tonnes environ. Par différence, le plutonium extrait du combustible UNGG représente environ 3,7 tonnes.

 

Les réexpéditions se font à destination d’usines françaises ou étrangères de fabrication de combustibles. EDF a dans le passé repris une partie de son plutonium pour fabriquer du combustible pour Superphénix et Phénix et ne le fait plus que pour Phénix, ce qui représente des tonnages faibles. Le Japon continue de reprendre du plutonium pour ses RNR Joyo et Monju. Mais le débouché principal est bien entendu la fabrication de Mox.

 

S’agissant du plutonium provenant des combustibles EDF, la réexpédition se fait désormais vers l’usine Melox, à 100 % en 1997. Les expéditions de plutonium fabriqué à La Hague vers l’usine de Belgonucléaire à Dessel ont cessé depuis la fin 94. La part de l’usine de Cadarache s’est annulée en 1997. Le tonnage réexpédié vers Melox en 1997 a atteint 5,7 tonnes. Le tableau suivant présente l’évolution des réexpéditions de plutonium à partir de La Hague.

 

Tableau 8 : réexpéditions à partir de La Hague du plutonium issu du retraitement de combustibles des REP EDF vers des usines de fabrication de combustible

 

tonne de Pu total

1976

1977

1978

1979

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

Belgonucléaire

                   

0,2

Melox

                     

Cadarache

       

0,4

0,3

0,2

0,2

0,1

0,4

0,4

Total

       

0,4

0,3

0,2

0,2

0,1

0,4

0,6

 

 

tonne de Pu total

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

total

Belgonucléaire

0,9

0,9

1,2

2

1,1

0,8

1,4

0,4

     

8,9

Melox

             

0,4

2

3,5

5,7

11,6

Cadarache

0,3

0,6

 

0,5

 

0,7

0,9

0,8

2,1

0,2

0

8,1

Total

1,2

1,5

1,2

2,5

1,1

1,5

2,3

1,6

4,1

3,7

5,7

28,6

 

S’agissant du plutonium provenant du retraitement des combustibles étrangers, il faut signaler l’augmentation du stock entreposé à La Hague

 

La montée en charge de l’usine UP3 consacrée au retraitement des combustibles étrangers est en effet rapide depuis 1990. Les quantités produites ont donc augmenté rapidement. Or les réexpéditions ont été très lentes. Sur la période 1990-1997, la moyenne des tonnages réexpédiés atteint seulement 1,8 tonne par an, avec toutefois un doublement par rapport à ce chiffre en 1997. Le tableau suivant présente la chronique des réexpéditions vers l’étranger.

 

Tableau 9 : réexpéditions à partir de La Hague du plutonium issu du retraitement de combustibles étrangers (réacteurs à eau légère) vers des usines de fabrication de combustible

 

tonne de Pu total

1976

1977

1978

1979

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

Total

0,1

0

0,3

0

0,3

0,3

0,5

0,7

1

1,6

0,6

 

 

tonne de Pu total

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

total

Total

0,5

0,8

0,7

1,2

0,7

2,4

0,3

1,6

1,7

3,2

3,6

22,1

 

La loi du 30 décembre 1991 dispose dans son article 3 que " le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement. "

 

La réexpédition des verres contenant les actinides mineurs et les produits de fission est évidemment une obligation aux termes de la loi. On peut discuter du délai d’entreposage nécessaire pour la décroissance de leur charge thermique et radioactive. Pour le plutonium, les délais imposés par le retraitement sont courts. Au contraire d’imposer une attente, une bonne gestion technique du plutonium exige une réutilisation rapide, faute de quoi le plutonium s’empoisonne, du fait de la décroissance radioactive b - spontanée du plutonium 241 qui se transforme en américium 241 avec une période de 14,4 années.

 

On conçoit bien le manque d’ardeur des clients étrangers à rapatrier leur plutonium. En réalité, ce sont plutôt les autorités politiques qui n’encouragent pas les retours, notamment en période d’élections. Le respect de la loi de 1991 commande que des calendriers clairs de réexpédition soient adoptés et respectés. Les retards risqueraient de ne jamais être rattrapés et La Hague n’a pas vocation à être un entrepôt de plutonium, ni pour EDF, ni pour les clients étrangers de Cogema.

  • Le stock total de plutonium d’EDF stabilisé à une vingtaine de tonnes

EDF recycle une partie du plutonium contenu dans ses combustibles irradiés sous forme de Mox (voir plus loin). Un stock outil est donc nécessaire. Son montant est stabilisé à une vingtaine de tonnes depuis 1997. La figure ci-après présente l’évolution de ce stock depuis 1989.

 

Figure 4 : évolution des stocks de plutonium issus du retraitement des combustibles EDF

  • réglementation sur le plutonium et coût du retraitement

 

Dans la conception française actuelle du retraitement et des résidus " ultimes ", la teneur en plutonium des verres contenant les produits de fission et les actinides mineurs ne doit pas dépasser 0,1 %, sans cette limite posée a priori ait un fondement logique. Dans l’hypothèse où l’on envisage un stockage souterrain, ceci revient à dire que l’on exclut d’y mettre des déchets contenant du plutonium à plus de 0,1 %. Cette contrainte a une incidence lourde sur le coût du retraitement. Le groupe de travail Mandil-Vesseron l’a évaluée.

 

La figure suivante illustre quels peuvent être les différents concepts de traitement des combustibles usés et leur traduction en termes source.

 

Figure 5 : les différents concepts de retraitement

 

Stockage Retraitement Retraitement Retraitement

direct simplifié actuel poussé

 


 

Pu 100% 1 à 3 % 0,1 % 0,01 %

AM 100% 100 % 100 % 1 %

 

La référence est la situation actuelle, soit une teneur de 0,1 % des verres qui contiennent au demeurant 100 % des actinides mineurs. Le coût d’investissement d’une usine de technologie actuelle et d’une capacité de 800 à 1 000 t/an est de l’ordre de 28 à 40 milliards de F 1997.

 

L’entreposage en surface ou le stockage direct en sub-surface correspondant au non-retraitement, conduit à accepter 100 % du plutonium et des actinides mineurs dans les conteneurs.

 

A l’autre extrémité de l’échelle " d’exigence ", le retraitement poussé correspond à une situation où la teneur en plutonium est limitée à 0,01 % et celle des actinides mineurs à 1 %. Le groupe Mandil- Vesseron a estimé que le coût du retraitement poussé serait plus élevé de 30 à 50 %, soit un surcoût d’investissement de l’ordre de 14 milliards de F.

 

Le retraitement simplifié correspond quant à lui à une norme d’acceptation du plutonium à une concentration variant de 1 à 3 %, pour 100 % d’actinides mineurs. L’économie par rapport à la situation actuelle serait de 30 %, soit 10 milliards de F en investissements, les économies de fonctionnement n’étant pas encore précisées.

 

Au total, le passage de la norme plutonium de 1 % à 0,01 % se traduit par une variation de 87 % du coût d’investissement de renouvellement d’une installation de la taille d’UP3.

 

Figure 6 : impact de la norme plutonium sur le coût de renouvellement de La Hague – usine similaire à UP3 –

 

Stockage Retraitement Retraitement Retraitement

direct simplifié actuel poussé

 


 

investissement en milliards de F 1997 pour une nouvelle usine de retraitement :

24 32 45

 

 

 

1.2. la montée des isotopes pairs du plutonium au cours de l’irradiation, une donnée fondamentale pour les combustibles et les réacteurs actuels ou futurs

 

L’irradiation du combustible à l’oxyde d’uranium conduit, on l’a rappelé plus haut, à la formation de plutonium à partir de l’uranium 238 fertile. Plusieurs isotopes apparaissent, le plus abondant de loin étant le plutonium 239. Différents facteurs influent sur la proportion de ces isotopes. Or les isotopes du plutonium n’ont pas la même qualité fissile dans les réacteurs à neutrons thermiques. De sorte que le plutonium issu du retraitement est plus ou moins adapté à un recyclage éventuel dans les réacteurs à eau pressurisée.

 

Dans la situation actuelle où, du fait de la fermeture de Superphénix, la filière des réacteurs à neutrons rapides - qui eux peuvent brûler tous les types de plutonium – perd de son actualité, cette question de la qualité du plutonium de retraitement doit occuper une place fondamentale dans les décisions sur l’aval du cycle.

 

  • montée des isotopes pairs et recyclage du plutonium

Le taux de combustion est un paramètre fondamental de l’exploitation d’un réacteur nucléaire. Par hypothèse, on cherche à le maximiser afin de rentabiliser le coût du combustible et de maximiser le rendement de la centrale, en réduisant les arrêts pour rechargement. Ceci peut se faire en enrichissant le combustible de départ, soit en uranium 235, soit en plutonium 239.

 

Des améliorations très importantes ont été apportées au combustible à l’oxyde d’uranium, aux alliages des aiguilles de combustible ainsi qu’à l’architecture des cœurs, principalement par l’industrie française qui a pu, de ce fait, renforcer ses positions dans la filière nucléaire. C’est grâce à ces améliorations que les taux d’irradiations ont pu progresser significativement. Des 33 000 MWj/t des années 70, l’on est aujourd’hui passé à une moyenne de 43 000 MWj/t, l’irradiation maximale autorisée étant de 47 000 MWj/t. On n’exclut pas d’ailleurs de repousser cette limite à 52 000 MWj/t.

 

La limite à respecter dans cette montée des taux de combustion est bien sûr celle fixée par des considérations de sûreté. En effet, l’enveloppe des aiguilles de combustible se fragilise quelque peu au fur et à mesure de l’irradiation. Par ailleurs, les produits de fission formés au cours des réactions s’accumulent dans la gaine, nuisent à sa tenue mécanique et dans une certaine mesure empoisonnent le combustible lui-même. Afin d’éviter des ruptures de gaine qui se traduiraient par une pollution radioactive du circuit primaire de refroidissement, des limites d’exploitation très précises sont imposées par les autorités de sûreté, en fonction du type de combustible et de réacteur.

 

Il semble bien qu’un autre facteur doive être pris en considération dans l’augmentation du taux de combustion, c’est celle la montée des isotopes pairs du plutonium qui rend celui-ci de plus en plus difficile à recycler dans les réacteurs à eau pressurisée.

 

Le tableau ci-après illustre la montée des isotopes pairs du plutonium en fonction du taux de combustion.

 

 

Tableau 10 : isotopes du plutonium dans le combustible oxyde d’uranium irradié en fonction du taux de combustion

 

taux de combustion (MWj/t)

33 000

40 000

45 000

50 000

55 000

60 000

Pu 238 en %

1,5

2,0

2,8

3,3

3,8

4,3

Pu 239 en %

58,6

55,8

53,7

51,8

50,7

48,9

Pu 240 en %

24,7

25,6

24,5

25,2

24,8

25,3

Pu 241 en %

10,0

10,4

11,8

11,8

12,0

12,0

Pu 242 en %

5,2

6,2

7,2

7,9

8,7

9,5

Isotopes pairs (%)

31,4

33,8

34,5

36,4

37,3

39,1

Isotopes impairs : Pu fissile (%)

68,6

66,2

65,5

63,6

62,7

60,9

Pu total (kg/t)

9,3

10,3

10,6

10,9

11,6

11,9

 

Le même phénomène, bien que dans des proportions moindres, est enregistré avec le combustible Mox. L’augmentation du taux de combustion renforce la proportion des isotopes pairs du plutonium, ainsi que le montre le tableau suivant.

 

Tableau 11 : l’augmentation des isotopes pairs du plutonium dans le Mox en fonction du taux de combustion

 

taux de combustion (MWj/t)

33 600

36 700

41 000

Pu 238 en %

3,1

2,7

3,4

Pu 239 en %

37,1

36,7

35,5

Pu 240 en %

33,7

33,8

34

Pu 241 en %

14,4

14,9

14,3

Pu 242 en %

11,8

11,8

12,8

Isotopes pairs (%)

48,6

48,3

50,2

Isotopes impairs : Pu fissile (%)

51,5

51,6

49,8

Un autre phénomène plus important dans le cas du Mox doit être souligné. C’est la montée des isotopes pairs du plutonium au fur et à mesure du recyclage.

Le combustible Mox – voir plus loin – est un mélange d’oxyde d’uranium et de plutonium. La concentration moyenne en oxyde de plutonium est de 5,3 %. Afin de maximiser les performances du combustible, un mélange isotopique particulier est effectué où les isotopes impairs représentent environ les deux tiers du total. Le phénomène fondamental est que, comme l’indique le tableau suivant, une montée des isotopes pairs se produit au cours de l’irradiation du combustible Mox.

Tableau 12 : isotopes du plutonium dans le combustible Mox – taux de combustion : 43 500 MWj/t – après refroidissement de 4 ans

Après une irradiation correspondant à 43 500 MWj/t, la part des isotopes pairs passe de 35,8 % du total à 48,2 %.

  • les isotopes pairs du plutonium, poisons des réacteurs à neutrons thermiques et excellents combustibles pour les réacteurs à neutrons rapides

Les isotopes pairs du plutonium constituent un poison de la réaction en chaîne dans les réacteurs à eau pressurisée. En revanche, les réacteurs à neutrons rapides sont indifférents à la composition isotopique. La raison en est exposée dans le tableau suivant.

 

Tableau 13 : ordre de grandeur des sections efficaces des différents isotopes du plutonium

 

isotope du plutonium

nb de neutrons émis par neutron absorbé en spectre thermique

nb de neutrons émis par neutron absorbé en spectre rapide

Pu 238

0,2

1,29

Pu 239

1,84

2,17

Pu 240

0,007

1,09

Pu 241

2,01

2,44

Pu 242

0,04

0,98

Le cas du plutonium 240 est éclairant à cet égard. En spectre thermique, le nombre de neutrons qu’il réémet pour un neutron capturé est de 0,007. Autrement dit, cet isotope absorbe les neutrons et compromet la poursuite de la réaction en chaîne. Il en est de même pour les autres isotopes pairs. Les isotopes impairs, au contraire, fissionnent en nombre suffisant et réémettent des neutrons, participant ainsi au processus de la réaction en chaîne et en parallèle générant de l’énergie.

 

Les réacteurs à neutrons rapides sont en conséquence souvent décrits comme des réacteurs " mange-tout ". Ceci vaut pour les actinides mineurs mais bien évidemment et au premier chef pour le plutonium. Mais la fermeture de Superphénix, décidée sans explications par le Gouvernement, signifie l’abandon pour une cinquantaine d’années de la filière des réacteurs à neutrons rapides, technique où la France se trouvait à la pointe mondiale de ce type de réacteurs. Le phénomène de la montée des isotopes pairs du plutonium sous la double action de l’accroissement des taux de combustion et du nombre de recyclage pèse donc de tout son poids sur les réacteurs à eau pressurisée actuel (REP paliers CP1-CP2) et sur les réacteurs à eau pressurisée du futur, en particulier le " European Pressurized Reactor " (EPR).

 

 

1.3. le plutonium considéré comme déchet et son immobilisation dans des matrices à longue durée de vie

 

Le plutonium est considéré à juste titre comme une matière à haut potentiel énergétique en France comme dans certains pays en raison de ses caractéristiques fissiles. A l’inverse, d’autres pays le considèrent comme un déchet au demeurant dangereux en raison de son utilisation militaire potentielle mais aussi en raison de sa radiotoxicité. L’immobilisation et la dénaturation du plutonium viennent aujourd’hui au premier plan des préoccupations, en raison de l’abondance des stocks de plutonium militaire. Des travaux de plus en plus nombreux portent sur ce thème. La problématique de l’usage ou du non-usage du plutonium civil pourrait en être modifiée.

 

  • le plutonium militaire issu du démantèlement des armes, un sujet brûlant mais bloqué aux Etats-Unis

 

Le démantèlement des armes nucléaires opéré suite aux accords de limitation des armements stratégiques, ainsi que l’augmentation de leurs puissances unitaires et la miniaturisation ont divisé par deux le nombre de têtes nucléaires. Au milieu des années 1980, le nombre d’armes s’élevait à 70 000 environ. Aujourd’hui, des estimations concordantes font état de 36 000 têtes dont 14 000 sont en attente d’être démantelées.

 

La neutralisation du plutonium est un sujet de préoccupation croissant aux Etats-Unis. Ceux-ci doivent en effet non seulement traiter leur propre stock mais ont également signé en 1994 un accord avec la Russie aux termes duquel ils doivent lui acheter des quantités importantes de plutonium – dans un premier temps 500 tonnes –. En janvier 1997 l'administration américaine annonçait sa politique pour traiter son propre plutonium : d'une part le recyclage en Mox et d'autre part son immobilisation dans des matrices de céramique. Depuis 15 mois, le " Department of Energy " (DOE), responsable de la gestion de toutes les matières nucléaires, n'a toutefois pas pris de position.

 

  • Le WIPP ou le tabou brisé du plutonium en stockage géologique

 

Sauf blocage de dernière minute, le premier centre de stockage souterrain de déchets contenant du plutonium doit être opérationnel aux Etats-Unis à la mi-98. Il s’agit du Waste Isolation Pilot Plant (WIPP). Même s’il ne s’agit pour l’instant que de déchets faiblement contaminés, c'est un précédent important qui pourrait ouvrir la voie au stockage souterrain de matrices à longue durée de vie contenant du plutonium en quantités importantes.

 

En l’occurrence, 150 000 m3 de déchets nucléaires de la guerre froide actuellement stockés sur 23 sites aux Etats-Unis devraient être stockés dans le WIPP, sur le site de Carlsbad au Nouveau-Mexique. L' "Environmental Protection Agency " (EPA) a donné son feu vert au " Department of Energy " (DOE).

 

C’est une évolution considérable dans un pays qui , après avoir lancé la problématique des déchets en avance, s’était bloqué non pour des raisons techniques mais pour des raisons d’opinion publique, dans un immobilisme du pouvoir politique qui pouvait se prolonger.

 

Ce résultat est obtenu après un affrontement aigu entre le Congrès et l’EPA. Cette agence avait fixé des normes de radioprotection à long terme particulièrement sévères. Il s’agissait de garantir qu’un forage, même pratiqué après la disparition de toute archive concernant le site, n’entraînerait pas de contamination de l’environnement. Le Congrès n’a pas hésité en 1995 d’une part à fixer lui-même une norme de radioprotection et, d’autre part, à menacer l’EPA de lui retirer toute responsabilité dans le domaine du nucléaire.

 

Les transports devraient commencer en juin 1998. Les déchets sont des outils, des vêtements et des objets contaminés par du plutonium lors de la fabrication ou du démantèlement des armes nucléaires. Le stockage est effectué dans une couche de sel souterraine déposée par un ancien océan il y a 225 millions d'années, ce qui donne une échelle de la durée. Cette couche située à – 650 m est considérée comme géologiquement stable.

 

Dans la même ligne, il semblerait que la décision pourrait être prise aux Etats-Unis de stocker en profondeur 50 tonnes de plutonium militaire après l’avoir immobilisé dans des matrices de céramique.

 

  • de nouvelles matrices d’immobilisation à très long terme pour le plutonium

 

Les techniques de piégeage d’un élément lourd comme le plutonium font à l’heure actuelle de nombreux progrès. L’insertion dans une matrice de verre est une technique industrielle démontrée chaque jour par Cogema à La Hague. En complément à ce procédé, apparaissent d’autres techniques comme celles des céramiques, qui semblent particulièrement prometteuses pour le plutonium.

 

Ainsi, en France, des chercheurs de l'IN2P3 ont réussi à synthétiser un phosphate de thorium de formule Th4(PO4)4P2O7 dans lequel on peut remplacer une partie des ions thorium par des ions uranium ou plutonium, sans que la structure cristalline du phosphate de thorium change. On crée ainsi une solution solide dans laquelle des atomes de plutonium remplacent de 25 à 41 % des atomes de thorium.

 

Des équipes australiennes et américaines développent quant à elles des composés à base de silicate et de titanate qui présentent des propriétés similaires à celles des roches trouvées dans la nature.

 

Ces techniques s’inspirent de ce que l’on trouve dans la nature où de nombreuses roches conservent à l’état de trace de l’uranium ou thorium. On a en effet mis en évidence à Oklo (Gabon) des piles atomiques spontanées qui ont fonctionné pendant 500 ans et ceci il y a 2 milliards d’années. Un confinement efficace des sous-produits des réactions nucléaires a été réalisé, naturellement, par des roches du même type que celles étudiées, pendant la même durée, soit la moitié de l'âge de la Terre.

 

Les matrices cristallines synthétiques actuellement étudiées –phosphates diphosphates de thorium, silicates de zirconium, monazites, apatites – devraient être assez stables pour immobiliser des matériaux radioactifs jusqu'à des milliards d'années.

Le tableau suivant présente une évaluation des performances comparées des différentes matrices.

 

Tableau 14 : performances de différents matériaux vis-à-vis de la lixiviation

 

matrice

fraction de masse dissoute

en g par m2 et par jour

Diphosphate de thorium

10-7

Monazites (CaPO4)

10-6

Zircon (ZrSiO4)

10-5

Synroc

10-5 à 10-4

Les chiffres ci-dessus sont relatifs à la dissolution dans de l’eau distillée, un milieu beaucoup plus oxydant et corrosif que les eaux basiques et réductrices que l’on trouve en sous-sol. Ils peuvent sembler décevants, dans la mesure à la durabilité des matrices doit se compter en millions d’années. En réalité, dans le cas du diphosphate de thorium, le mécanisme de dissolution porterait en lui-même un auto-blocage. En effet, le passage en solution du solide est rapidement contré par la très faible solubilité du phosphate. A peine dissout, le diphosphate de thorium précipite rapidement à la surface de la matrice. Une sorte de réparation automatique de l’attaque initiale se produit donc. Des expériences sont en cours pour vérifier la portée de ce mécanisme et estimer la durabilité à long terme.

 

Dans ce créneau prometteur, la France, grâce au CNRS, qui a bien sûr déposé les brevets nécessaires, semble avoir une avance sur les autres pays. Selon certaines informations, les Etats-Unis testeraient le procédé français.

En tout état de cause, des céramiques des types ci-dessus devraient être préférées aux verres pour piéger des déchets radioactifs à haute activité, dès lors que les éléments sont séparés. La technique du verre s’appliquerait mieux aux mélanges d’éléments différents. De plus les céramiques semblent mieux résister dans la durée à la lixiviation que les verres.

Il est donc vraisemblable que la voie inaugurée par l’IN2P3 débouche sur des applications. La condition en est évidemment que ses coûts de mise en œuvre deviennent compétitifs. Les verres, compte tenu des volumes actuellement fabriqués, garderont toutefois longtemps une avance à cet égard. Une autre condition, fondamentale, est aussi que l’on ne puisse facilement récupérer le plutonium une fois celui-ci placé en solution solide. Différents stratagèmes peuvent être imaginés à cet égard, comme la pollution du plutonium par des poisons radioactifs. Ces poisons pourraient être introduits au moment de la fabrication ou au contraire être fabriqués par irradiation neutronique.

En tout état de cause, des résultats complémentaires sont nécessaires pour éventuellement confirmer que l’on peut immobiliser des quantités importantes de plutonium pour des durées très longues, avec efficacité et sûreté, notamment en prévenant toute possibilité d’extraction du plutonium des céramiques.

 

Si cette possibilité était avérée, c’est toute la problématique du plutonium – déchet ou combustible – qui pourrait être déplacée.

 

1.4. le plutonium considéré comme un combustible et son recyclage dans le Mox : contraintes techniques

 

Le Mox, mélange d’oxyde d’uranium et de plutonium, constitue un combustible utilisable dans les réacteurs à eau pressurisée moyennant quelques adaptations des réacteurs et sous certaines limites. Le bilan d’introduction du Mox en France est positif. C’est pourquoi EDF entend l’étendre progressivement à un nombre accru de tranches nucléaires. La poursuite de cette introduction conditionne l’équilibre économique de l’aval du cycle.

  • plusieurs types de Mox et plusieurs configurations de cœur contenant du Mox

Le Mox (Mixed Oxide Fuel) est composé d’oxydes d’uranium et de plutonium. Des variantes existent tant pour le ratio uranium 235 fissile / uranium 238 fertile de l’oxyde d’uranium que pour la teneur globale de l’oxyde de plutonium et sa composition isotopique. Par ailleurs, il faut noter que le nombre d’assemblages combustibles contenant du Mox varie, selon les cas, par rapport au nombre total d’assemblages du cœur d’un réacteur.

 

Le minerai d’uranium comprend en moyenne 0,1 à 0,5 % d’uranium. La composition isotopique de cet uranium naturel est de 0,7 % en uranium 235 fissile. Après enrichissement, l’on aboutit à une teneur de 3,5 % en uranium 235. L’uranium appauvri résultant de l’enrichissement comprend quant à lui 0,2 % d’uranium 235. L’oxyde d’uranium utilisé pour fabriquer le Mox était traditionnellement l’uranium naturel. L’uranium appauvri produit en aval des usines d’enrichissement lui est de plus en plus souvent préféré. L’abaissement de 0,7 % à 0,2 % de la teneur en uranium 235 ainsi réalisé permet en effet d’augmenter la concentration en oxyde de plutonium, donc sa consommation globale.

Le Mox est placé dans des crayons qui eux-mêmes sont assemblés de différentes façons. Les réacteurs à eau bouillante utilisaient dans le passé des assemblages à îlot de plutonium. Au sein de chaque assemblage, les crayons Mox étaient placés dans une zone centrale et les crayons à uranium enrichi à la périphérie. Au contraire, les réacteurs à eau pressurisée " moxés " contiennent des assemblages " tout Mox " qui ne contiennent que des crayons Mox. Les réacteurs REP 900 MW du palier CP1-CP2 se caractérisent par des assemblages tout Mox. Au sein de chaque assemblage, l’on fait varier la teneur en oxyde de plutonium. La périphérie, le centre et la zone moyenne comportent des crayons de teneurs différentes en plutonium – selon le schéma ci-après –.

 

 

Figure 7 : exemple d’assemblage de combustible Mox utilisé dans des REP français de 900 MWe

 

                                 
                                 
         

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O

         
                                 
                                 

 

légende :

 

zone 1 : périphérie - 64 crayons à faible teneur – 3,35 % de plutonium

   

zone 2 : 100 crayons à teneur moyenne – 5,10 % de plutonium

   

zone 3 : centre - 100 crayons à forte teneur – 6,75 % de plutonium

 

O

tubes guides et tubes d’instrumentation

 

Globalement, deux paramètres peuvent être utilisés pour faire varier le contenu global en Mox d’un réacteur à eau pressurisée : d’une part la teneur en oxyde de plutonium de chacun des assemblages et d’autre part le nombre d’assemblages de Mox par rapport au nombre total d’assemblages présents dans le coeur. Ces deux paramètres permettent, dans des limites précises fixées par la sûreté, de faire varier le tonnage de plutonium recyclé dans un REP.

 

 

  • un maximum de 12 % de plutonium dans le Mox

 

Au cours de l’irradiation d’un combustible classique à l’oxyde d’uranium, il se crée, on l’a déjà mentionné, du plutonium sous différents isotopes. En réalité, la proportion de plutonium 239 se stabilise globalement dans l’ensemble du cœur. En effet, le taux de transformation de l’uranium 238 en plutonium 239 équilibre la disparition de celui-ci par fission. En revanche, apparaissent au fur et à mesure du fonctionnement du réacteur et de plus en plus, les isotopes Pu 240, Pu 241 et Pu 242. Comme on l’a vu plus haut, la part des isotopes pairs est d’autant plus importante que l’irradiation du combustible est plus élevée.

 

Or les propriétés neutroniques des différents isotopes du plutonium diffèrent de celles de l’uranium. Elles diffèrent également les unes des autres. En particulier, les isotopes pairs du plutonium empoisonnent la réaction de fission dans les réacteurs à eau pressurisée. On considère qu’une réaction en chaîne peut avoir lieu pour un nombre de neutrons émis par neutron absorbé supérieur ou égal à 1,3. Les isotopes pairs du plutonium – Pu 238, Pu 240 et Pu 242– avec des valeurs très inférieures en spectre thermique, sont donc des poisons de la réaction en chaîne.

 

 

Sur un plan général, la fission d’un noyau d’uranium 235 produit deux fragments qui réémettent deux à trois neutrons de haute énergie (environ 2 MeV). Dans un réacteur à eau pressurisée, ces neutrons perdent rapidement leur énergie à la suite de chocs contre les noyaux d’hydrogène de l’eau. En tout état de cause, cela est nécessaire à un bon entretien de la réaction en chaîne.

 

Si la fission de l’uranium 235 se produit sous l’action des neutrons de tout type d’énergie, la probabilité de fission est plus importante lorsque le neutron incident est faiblement énergétique. Grâce à l’eau, les neutrons sont ralentis par chocs élastiques. Leur énergie diminue jusqu’à atteindre un niveau, inférieur à 0,5 eV, où la probabilité d’absorption par le noyau et donc de fission est plus importante.

 

La présence de plutonium dans le combustible Mox modifie la situation. Les isotopes 239 et 241 du plutonium présentent une résonance d’absorption pour des valeurs d’énergie voisines de 0,5 eV. Ceci veut dire que l’absorption de neutrons peut être multipliée par 10 ou 100. En conséquence, les neutrons susceptibles de voir diminuer leur énergie jusqu’au niveau optimal sont moins nombreux. Le spectre est dit durci. Il y a moins de neutrons de basse énergie et plus de neutrons d’énergies intermédiaires, dits épithermiques. Les poisons de contrôle – le bore dans les réacteurs à eau pressurisée – sont moins efficaces. Les grappes de commande le sont également.

 

Par ailleurs, le plutonium produit moins de neutrons retardés que l’uranium 235. On constate donc que le cœur est plus nerveux.

 

Pour toutes ces raisons, une limite à la teneur en plutonium du combustible Mox doit être fixée. Pour ce faire et pour chaque concept de cœur envisagé, des calculs complexes doivent être réalisés en examinant les conséquences des différents incidents et accidents potentiels de fonctionnement du réacteur. Pour simplifier, les résultats de ces calculs montrent que le pourcentage maximal admissible de plutonium par rapport à l’uranium est d’environ 12 %.

 

 

 

 

 

  • la modification du design initial des réacteurs 900 MWe et la limitation du pourcentage d’assemblages Mox à 30 % du total

 

La limitation à 12 % de la teneur en plutonium du Mox n’est pas la seule contrainte portant sur le recyclage du plutonium dans les réacteurs à eau pressurisée. En réalité, l’utilisation du Mox impose des modifications de la conception et des investissements complémentaires sur les REP des tranches CP1-CP2. Ainsi que l’a indiqué Framatome à vos Rapporteurs, ces modifications sont d’ampleur limitée mais incontournables .

 

Du fait de la présence de plutonium fissile dans le combustible, des neutrons à haute énergie non ralentis provoquent un nombre de fissions plus important que dans le combustible classique. La première conséquence en est que les moyens de contrôle de la réactivité qui agissent principalement sur les neutrons lents sont moins efficaces. Il faut donc les renforcer. Des grappes de contrôle supplémentaires sont donc installées dans ce but sur les réacteurs et les teneurs en bore sont augmentées. Dans le cas particulier des réacteurs 900 MWe, ce sont quatre grappes noires supplémentaires qui ont été rajoutées.

 

Par ailleurs, les réacteurs " moxés " se caractérisent par une diminution des contre-réactions de vide et l’on peut atteindre avec des quantités moindres, en dehors de la présence d’eau, la criticité. En outre, un nombre plus réduit de neutrons retardés étant émis après une fission, le combustible est plus sensible à des variations rapides de réactivité. Ces phénomènes sont prévenus par des exigences précises sur la maîtrise de certains transitoire et par un renforcement des capacités de refroidissement à long terme. C’est ainsi que, sur les réacteurs 900 MWe, la concentration en bore et les volumes disponibles des réservoirs d’appoint en bore sont augmentés, de même que la concentration du réservoir de stockage de la piscine.

 

Une fois effectués ces changements mineurs d’équipement et de modes de conduite, le réacteur présente des caractéristiques intéressantes pour l’exploitation, comme une perte de réactivité moindre qu’avec le combustible classique.

 

Dans tous les cas, la pratique actuelle française est que les assemblages combustibles confectionnés avec du Mox ne représentent que 30 % du total. Par ailleurs, des contraintes de gestion particulières sont assignées au combustible Mox qui ne peut séjourner aussi longtemps en réacteur que le combustible à l’oxyde d’uranium. Un réacteur 900 MWe fonctionnant au combustible standard à l’oxyde d’uranium est rechargé par quart de cœur, avec une longueur de campagne de 12 mois, c’est-à-dire tous les ans. Un réacteur " moxé " continue d’être rechargé par quart de cœur pour le combustible UO2, mais est rechargé par tiers de cœur avec du combustible Mox, la durée de la campagne restant de 12 mois .

 

Tableau 15 : caractéristiques actuelles d’exploitation du Mox dans les réacteurs 900 MWe

 

caractéristiques

assemblages Mox

assemblages UO2

nombre d’assemblages en % du total

30 %

70 %

teneur en plutonium

5,3 %

-

équivalent enrichissement en U 235

-

3,25 %

épuisement maximal de décharge autorisé

39 000 MWj/t

48 000 MWj/t

nombre de cycles en réacteur

3

4

 

La montée des taux de combustion des combustibles à l’uranium que l’exploitant appelle de ses vœux pour augmenter la rentabilité, induit une nouvelle contrainte en aval. En effet, le combustible ultérieurement retraité comporte du plutonium de qualité dégradée, ainsi qu’on l’a vu plus haut. En termes techniques, on parle d’une dégradation du vecteur isotopique du plutonium, ce qui veut dire que le plutonium retraité comporte une proportion accrue d’isotopes pairs. En conséquence, il est nécessaire d’augmenter la teneur en plutonium du Mox.

 

Un dossier en cours d’instruction par les autorités de sûreté depuis 1996 sollicite en conséquence l’augmentation de la teneur en plutonium. Le tableau suivant présente les caractéristiques de la gestion projetée si les autorisations demandées sont accordées.

 

Tableau 16 : gestion du Mox fabriqué avec du plutonium provenant des combustibles fortement irradiés

 

 

assemblages Mox

assemblages UO2

nombre d’assemblages en % du total

30 %

70 %

teneur en plutonium

7,08 %

-

nombre de cycles en réacteur

3

4

 

Par ailleurs, la gestion séparée des assemblages Mox – 3 cycles – et des assemblages standards – 4 cycles – complique l’exploitation pour EDF. En conséquence, un projet a été lancé par EDF, intitulé " Parité Mox ", pour s’affranchir de cette contrainte. Le tableau suivant indique quelles pourraient alors être les caractéristiques d’exploitation des réacteurs ainsi moxés.

 

Tableau 17 : objectifs du projet " Parité Mox " à horizon 2002

 

caractéristiques

assemblages Mox

assemblages UO2

nombre d’assemblages en % du total

30 %

70 %

teneur en plutonium

8,65 %

-

nombre de cycles en réacteur

4

4

 

L’étude de faisabilité a récemment conclu que la teneur en plutonium du Mox doit être de 8,65 % et que quatre grappes d’arrêt supplémentaires sont nécessaires ainsi qu’une augmentation du réservoir de stockage de la piscine. Compte tenu des rapports de sûreté à élaborer et des modifications à réaliser sur les tranches, cette gestion pourrait être mise en service à la fin de l’année 2002.

 

Quant aux perspectives d’augmenter le pourcentage d’assemblages de Mox, elles sont peu encourageantes. Framatome écrit : " pour utiliser le Mox à des taux supérieurs à 30 %, des modifications devront être faites, dont la mise en œuvre sur les tranches existantes sera coûteuse avec des délais d’intervention importants. En tout état de cause, un taux de recyclage supérieur à 40 % n’est pas envisageable sans une refonte complète de ces tranches et une nette remise en cause de leur capacité de suivi du réseau ".

 

  • l’introduction du Mox dans les réacteurs de 1300 MWe envisageable à l’horizon 2005

 

L’introduction du Mox dans les réacteurs des paliers P4-P’4 de 1 300 MWe est envisageable sur un plan technique, même si son opportunité n’est pas actuellement discutée.

 

Les réacteurs de 1 300 MWe présentent huit emplacements disponibles pour des grappes de contrôle supplémentaires. Ce facteur favorable est en partie compensé par l’absence dans ces réacteurs de réservoir de bore concentré dans le système d’injection de sécurité. Selon Framatome, il est vraisemblable que cet inconvénient puisse être compensé par l’augmentation de la concentration en bore des réservoirs pour des quantités de plutonium modérée.

 

Des études sont en cours pour déterminer les conditions d’une introduction du Mox dans les réacteurs du palier 1300 MWe. Le tableau suivant en résume les grandes lignes.

 

Tableau 18 : conditions et perspectives d’introduction du Mox dans le palier 1 300 MWe

 

 

% d’assemblages Mox

taux de plutonium total

horizon

projet à court terme

20-30 %

9,4 %

2005

projet à moyen terme

100 %

9,6 %

2010-2015

 

Il apparaît que le recyclage du plutonium dans les REP 1 300 MWe devrait être possible à un taux modéré de l’ordre de 20 à 30 %, moyennant une conclusion positive sur les situations accidentelles de refroidissement.

 

Le passage à 100 % d’assemblages Mox nécessiterait selon toute vraisemblance un redimensionnement de certains systèmes après des études poussées et donc des modifications coûteuses et des temps d’arrêt importants.

 

  • le Mox dans les réacteurs de 1 450 MWe : un problème analogue à celui des réacteurs 1 300 MWe

 

Les réacteurs du palier N4 sont équipés d’un schéma de grappes renforcé. Des marges importantes existent en conséquence pour l’arrêt en cas d’accident de refroidissement. L’ajout de grappes supplémentaires permettrait de répondre à la question. Le palier N4 se présente en conséquence de façon voisine de celle du palier P4-P’4.

 

  • le Mox et l’EPR : une question stratégique

 

Le réacteur du futur EPR peut-il servir à recycler en masse le plutonium issu du retraitement ? Telle est la question fondamentale pour les 50 prochaines années du nucléaire sur laquelle il convient de se pencher en détail.

 

Il importe en particulier de savoir si de nouvelles tranches – en l’occurrence des EPR –, venant en supplément du parc actuel, pourraient contribuer à la consommation du plutonium issu du retraitement.

 

Si l’on considère l’avenir à plus long terme, il s’agit aussi de déterminer si les tranches venant en renouvellement des premiers réacteurs du palier CP0 pourraient modifier l’équilibre du cycle du combustible.

 

La définition du réacteur européen à eau pressurisée du futur a commencé en 1992. NPI, filiale commune de Framatome et de Siemens créée en 1989 en assume la maîtrise. Les principales dates de la progression de ce projet sont les suivantes. A la fin 1993, un document relatif aux concepts de sûreté retenus est adressé aux autorités de sûreté françaises et allemandes. En 1994, le groupe permanent réacteur étudie le document correspondant. Une lettre cosignée par les autorités de sûreté française et allemande manifeste l’approbation pour les orientations initiales. La conception de base " Basic Design " commence alors. Les études sont terminées en juin 1997. Le rapport résultant intitulé " Basic Design Report " est déposé en octobre 1997 auprès des autorités de sûreté en octobre 1997. L’année 1998 est employée à l’optimisation des conditions d’exploitation du futur réacteur, notamment sur le plan des coûts.

 

Ce réacteur évolutionnaire devrait avoir une puissance de 1 525 MWe, encore qu’on étudie à l’heure actuelle dans quelles conditions celle-ci pourrait être portée à 1 700 – 1750 MWe. La durée de vie de l’îlot nucléaire devrait être portée à 60 ans contre 40 ans initialement prévus pour les réacteurs actuels. Le premier objectif est celui de l’augmentation de la sûreté par rapport à celle déjà remarquable des réacteurs actuels les plus avancés. Parmi les dispositifs devant y conduire, figurent le renforcement de l’enceinte, l’introduction d’un système de refroidissement dédié par aspersion, des systèmes de dépressurisation, des recombineurs catalytiques d’hydrogène et un dispositif étanche de récupération du corium. Un deuxième objectif est celui d’accroître la simplicité d’exploitation. Elle sera obtenue grâce à une amélioration de la fiabilité des composants, un fonctionnement et une maintenance facilités, une réduction des marges d’erreur humaine et une radioprotection meilleure.

 

Au plan de son architecture technique, l’EPR serait relativement proche du réacteur N4. A ce titre, le circuit primaire principal comprendrait 4 boucles comprenant chacune un générateur de vapeur et un système de pompes associées. Les réserves d’eau seraient accrues pour des motifs de sûreté. Le cœur comprendrait 245 assemblages combustibles contre 205 pour le réacteur N4.

 

La question du recyclage du plutonium, fondamentale pour l’étude de l’aval du cycle, est à l’heure actuelle en cours d’approfondissement. La version de base de l’EPR permet le monorecyclage du plutonium au taux de 50 % dans des gestions de 18 mois. La teneur moyenne en plutonium est de 11 %. Le vecteur isotopique correspond à un combustible uranium déchargé à 60 000 MWj/t. Fort opportunément et d’une certaine manière en contrepartie, les systèmes de l’EPR sont conçus pour utiliser du bore enrichi en bore 10.

 

Cette option apporte une souplesse importante vis-à-vis de l’utilisation du Mox. En conséquence, pour aller au-delà de 50 % d’assemblages Mox, seules quelques modifications mineures devraient être apportées aux systèmes de la chaudière.

 

Vos Rapporteurs ont pu obtenir des précisions supplémentaires de Framatome, sur les études en cours relatives à un recyclage accru du plutonium dans l’EPR, à propos duquel les études CAPRA menées sur Superphénix auraient été fort utiles. Le tableau suivant récapitule les différentes possibilités qui devraient être offertes par ce réacteur du futur.

 

Tableau 19 : l’EPR et le recyclage du plutonium – performances attendues

 

EPR

% d’assemblages

de Mox

teneur moyenne en plutonium

durée

des cycles

taux d’épuisement

de décharge

nombre de crayons par assemblage

rapport

de modération

version de base

50 %

11 %

18 mois

60 000 MWj/t

" 17x17 "

2

version

à l’étude

100 %

11 %

18 mois

60 000 MWj/t

" 17x17 "-36

2,2

 

Les études en cours montrent qu’un arbitrage sera vraisemblablement nécessaire entre l’augmentation de puissance, telle qu’elle est projetée, et le passage à 100 % de Mox dans le réacteur.

 

Pour passer à 100 % d’assemblages Mox, il faudra en effet utiliser des assemblages à rapport de modération légèrement accru. Ceci sera obtenu par suppression de 36 crayons combustible de l’assemblage standard de l’assemblage standard 17x17. Ainsi que l’écrit Framatome : " l’utilisation de ces assemblages efface en partie la perte d’efficacité que subissent le bore et les grappes de contrôle dans un coeur Mox par rapport à un coeur UO2. La possibilité d’enrichir le bore en bore 10 vient encore augmenter l’efficacité de ce moyen de contrôle. Le résultat est que vis-à-vis du contrôle de la réactivité, le cœur 100 % Mox n’est pas plus pénalisant qu’un cœur 50 % Mox. Par ailleurs, l’introduction de 36 trous d’eau par suppression des crayons combustible correspondant a pour conséquence une augmentation de la puissance linéique, ce qui se traduit par une perte de marges sur le cœur. Cela est acceptable pour le niveau de puissance actuel de l’EPR, mais ne permettrait vraisemblablement pas une augmentation de 15 % de puissance envisagé aujourd’hui. La pénalité pourrait être de l’ordre de 5 %, pour des cœurs 100 % Mox. "

 

Un autre arbitrage devrait par ailleurs être effectué entre le passage à 100 % Mox et la durée de vie de la cuve, qui devrait en tout état de cause être diminué par la présence accrue d’assemblages Mox.

 

Il reste que l’EPR moxé permettrait, ainsi que le montre le tableau ci-après, une consommation nette de plutonium, avec toutefois comme conséquence un accroissement des quantités produites d’actinides mineurs (américium, neptunium et curium), ce qui accroît les difficultés du stockage à long terme.

 

Tableau 20 : estimation des consommations ou des productions de plutonium et d’actinides dans l’EPR, suivant ses versions

 

type d’EPR

EPR – UO2 – 60 GWj/t

EPR –50 % Mox – 60 GWj/t

EPR – 100 % Mox – 60 GWj/t

Plutonium total (kg/Twhe)

+ 26,4

- 24,8

- 67,5

Américium (kg/Twhe)

+ 0,8

+ 3,7

+ 4,8

Neptunium (kg/Twhe)

+ 2,1

+ 1,1

+ 0,3

Curium (Kg/Twhe)

+ 0,4

+ 2,5

+ 4,0

 

En première approximation, on peut considérer qu’une tranche EPR moxé à 100 % serait susceptible de consommer environ 3 tonnes de plutonium par an.

 

  • la faisabilité et l’opportunité du retraitement du Mox

 

Le combustible Mox irradié contient davantage de plutonium et d’actinides mineurs que le combustible standard. Toutefois, la démonstration a été faite que le procédé Purex s’adapte sans grandes difficultés au Mox irradié.

 

En 1991-1992, le CEA, dans son atelier pilote de Marcoule, retraitait avec succès 2,1 tonnes de Mox provenant de la centrale allemande de Graffenheinfeld. La COGEMA, quant à elle, retraitait en 1992 à La Hague-UP2 4,7 tonnes de Mox issu d’Obrigheim-Neckar-Unterweser.

 

Deux et peut-être trois recyclages du plutonium semblent en tout état de cause possibles, ainsi que l’expose le document Mandil-Vesseron. La durée des opérations de stockage et de traitement est toutefois à prendre en considération.

 

Compte tenu de la lenteur relative de la décroissance radioactive et thermique du Mox irradié, un recyclage du plutonium dans le Mox prendrait une douzaine d’années. Deux à trois recyclages s’étendraient sur une durée de 24 à 36 ans. En tout état de cause, les actuelles installations de retraitement pourraient convenir, à condition toutefois que leur fonctionnement et en particulier leur niveau de sûreté permettent d’en prolonger l’usage.

 

L’un des problèmes restant à examiner a trait à l’impact de la composition du Mox irradié sur les déchets, les rejets et les effluents. Il est à l’étude.

 

Le deuxième problème à résoudre – probablement le plus important – porte sur la modification de la composition du Mox qu’il faudrait introduire au fur et au mesure des recyclages.

 

Le Mox actuel comprend 5,3 % de plutonium. Au fur et à mesure de l’irradiation, les isotopes pairs du plutonium, notamment le plutonium 242, voient leur concentration augmenter dans le combustible. Or leur neutronique dans les REP est beaucoup moins favorable à la réaction en chaîne que les isotopes impairs. Deux réponses sont alors possibles. La première consiste à augmenter la teneur en plutonium au-delà des 5,3 % actuels. Cette solution présente une limite en termes de nombre de recyclages possibles. L’autre réponse consiste à accroître non pas la teneur en plutonium mais celle de l’uranium 235 fissile.

 

Le recours à un uranium davantage enrichi est considéré par le CEA comme à la fois plus novateur et plus prometteur. L’impact de cette solution sur les déchets radioactifs à haute activité reste à mesurer.

 

Mais dans la mesure où l’ensemble du combustible à l’oxyde d’uranium ne serait pas retraité, il paraît inutilement compliqué de recycler le Mox.

 

 

  • le combustible Mix : une solution coûteuse et peu efficace vis-à-vis du plutonium

 

L’on a vu précédemment que l’augmentation de la teneur en plutonium du Mox est limitée par la physique neutronique. La deuxième solution consiste à préparer des cœurs à 100 % d’assemblages Mox. Mais ceci ne peut se faire actuellement. Les combustibles existants ne peuvent convenir. Les systèmes de commande des réacteurs – les grappes de contrôle – sont quant à eux insuffisants.

 

Une autre solution peut être en conséquence imaginée, celle du combustible Mix. L’idée est de diluer du plutonium dans tous les assemblages combustibles des réacteurs à eau pressurisée. Cette solution est possible à condition que l’on augmente la teneur en uranium 235. Les calculs montrent que des taux de combustion de 55 000 MWj/t pourraient être atteints pour des teneurs de 2% en plutonium et de 3,8 % en uranium 235.

 

Un premier inconvénient de cette solution est que l’ensemble des réacteurs à eau pressurisée devraient être adaptés pour utiliser ce combustible. La viabilité économique du combustible Mix reste ainsi à démontrer. Framatome évalue le surcoût total de passage à ce combustible à 3 milliards de francs par an.

 

Par ailleurs, les stocks de plutonium seraient bien stabilisés avec le Mix. Mais ceci n’arriverait qu’au bout de 50 ans, alors que dans l’intervalle une croissance du stock net de plutonium se produirait.

 

On peut signaler également un autre inconvénient. Selon toute vraisemblance, la technique du Mix conduirait certes à stabiliser le plutonium mais parallèlement à augmenter inévitablement la proportion d’actinides mineurs dans le combustible irradié.

 

 

 

 

1.5. EDF bloquée à 16 tranches moxées mais candidate pour 12 autorisations supplémentaires

 

La France ne fait pas cavalier seul pour le recyclage du plutonium dans le Mox. Bien au contraire, elle n’est venue qu’en deuxième ligne sur cette question, par rapport à l’Allemagne. Pour autant, la détermination d’EDF est claire. Il s’agit pour l’exploitant d’introduire du Mox dans tous les réacteurs du palier CP1-CP2 pour lesquels cela peut se faire sans modification majeure des réacteurs. Au total, l’objectif est donc bien de moxer 28 tranches dans les meilleurs délais. Pour les paliers P4-P’4, la question n’est pas à l’ordre du jour. Quant au futur EPR, EDF l’appelle de ses vœux, sous certaines conditions toutefois.

 

La politique d’EDF d’introduction du Mox s’inscrit dans une démarche responsable vis-à-vis de l’ensemble du cycle du combustible. Il est cependant clair que l’ouverture du marché de l’électricité début 1999, après transposition de la directive européenne, devrait renforcer l’impératif de compétitivité du prix du kWh, ce qui risque de lui faire évoluer à la marge sa stratégie nucléaire.

  • une stratégie globale de l’aval du cycle

Ainsi que M. Pierre Daurès, son directeur général l’a exposé à vos Rapporteurs, la stratégie d’aval du cycle d’EDF repose sur deux choix fondamentaux.

 

Le premier choix est relatif au plutonium qu’EDF considère actuellement comme une matière première énergétique. L’objectif est donc de le recycler dans les réacteurs REP 900 MWe. Pour ce faire, EDF recourt au retraitement proposé par Cogema. Mais, en tout état de cause, c’est la capacité d’absorption recyclage du plutonium dans les réacteurs du palier CP1-CP2 qui conditionne le volume des combustibles retraités. EDF entend ainsi respecter le " principe d’égalité des flux ", afin de ne pas accumuler du plutonium sur " étagères ", ce qui paraît être de bonne gestion.

 

Le deuxième choix fondamental a trait à la composition des déchets finaux. En premier lieu, lors du retraitement, une extraction maximale du plutonium est recherchée afin de minimiser sa présence résiduelle dans les stockages finaux et de tirer le meilleur des installations de séparation. En deuxième lieu, EDF se fixe comme objectif de minimiser les volumes des déchets ultimes.

 

  • EDF soucieuse d’obtenir l’autorisation de moxer 28 tranches

Le flux annuel de combustibles usés et déchargés des réacteurs EDF est d’environ 1 200 tonnes par an. Ce flux baisse légèrement d’une année sur l’autre en raison de l’augmentation régulière de la performance des combustibles qui peuvent rester plus longtemps en réacteur. Mais l’ordre de grandeur ne change pas.

 

Sur ces 1 200 tonnes par an, l’utilisation optimale des capacités de retraitement de La Hague a conduit EDF à retenir une part de combustibles retraités " rapidement " d’environ 850 tonnes par an. Ceci correspond, avec la gestion hybride UO2/Mox, à la fabrication de 21 à 22 " recharges " de combustibles Mox par an. Aucun stock tampon n’existe sur les sites. EDF souhaite donc disposer d’une certaine souplesse dans la gestion du parc et donc d’un nombre de tranches autorisées un peu plus élevé que le strict nombre de recharges. D’où le souhait d’EDF d’être autorisé à moxer les 28 tranches des paliers CP1-CP2. Le tableau suivant indique la situation administrative et opérationnelle des 28 tranches de ce palier.

 

Tableau 21 : état d’avancement du moxage du palier EDF 900 MWe CP1-CP2

 

tranches

autorisées

chargées

Tricastin 1 – 4 oui –décret d’autorisation de création incluant le Mox

Tri 2 et 3 en 1996

Tri 1 et 4 en 1997

Dampierre 1 – 4 oui –décret d’autorisation de création incluant le Mox

Dam 1 en 1990

Dam 2 en 1993

Dam 3 en 1998

Gravelines 1 – 4 oui –décret d’autorisation de création incluant le Mox

Gra B3 et B4 en 1989

Gra B1 en 1997

Gra B2 en 1998

Le Blayais 1 & 2 oui –décret d’autorisation de création incluant le Mox

Bla 2 en 1994

Bla 1 en 1997

Saint Laurent des Eaux B1 & B2 oui –décret d’autorisation de création incluant le Mox

StL B1 en 1987

StL B2 en 1988

total tranches autorisées

16

16 à l’été 1998

Chinon 1 – 4

• décret d’autorisation n’incluant pas le Mox

• enquête publique réalisée en 1997

• avis CIINB en 1998

décret en attente depuis début 1998

-

Le Blayais 3 & 4

• décret d’autorisation de création n’incluant pas le Mox

autor. d’enquête publique en attente

-

Cruas 1 –4

• décret d’autorisation de création n’incluant pas le Mox

autor. d’enquête publique en attente

-

Gravelines 5 & 6

• décret d’autorisation de création n’incluant pas le Mox

autor. d’enquête publique en attente

-

total tranches en attente

12

 

TOTAL général tranches Moxables

28

16

 

Début janvier 1998, le décret d’autorisation de chargement de Mox dans les 4 tranches de Chinon 1-4 est déposé à la signature des ministres de l’industrie et de l’environnement, après que l’enquête publique a été réalisée en 1997 et que la CIINB a donné son avis favorable en décembre 1997.

 

Quant aux tranches de Gravelines 4 et 5, Le Blayais 3 et 4 et Cruas 1 à 4, les demandes d’autorisation de lancement de l’enquête publique ne sont pas accordées pour l’instant, bien que de l’avis d’EDF, aucun problème technique ne se pose.

 

 

  • en cas de limitation à 16 tranches, l’abandon du principe d’égalité des flux ou la diminution des quantités retraitées et donc des suppressions d’emploi

 

 

Selon EDF, le nombre maximal de recharges Mox que l’on peut charger chaque année avec 16 tranches est de 14. Pour fabriquer ces 14 recharges, il faut retraiter 550 tonnes par an, s’il s’agit de combustible à faible taux de combustion ou 650 tonnes par an s’il s’agit de combustible avec un fort taux de combustion.

 

En conséquence, EDF se verrait contrainte d’adopter l’une des solutions suivantes : l’abandon du principe d’égalité des flux ou la réduction du flux annuel de retraitement.

 

L’abandon du principe d’égalité des flux ne paraît pas souhaitable à EDF. L’accumulation de plutonium inutilisé n’est pas prévue dans l’organisation actuelle de l’aval du cycle. La quantité du stock de plutonium appartenant à EDF correspond à un stock outil, nécessaire dans la perspective de la fabrication du Mox. Ce stock outil est limité à son minimum et se stabilise à une vingtaine de tonnes.

 

En cas de non-autorisation de moxage de 28 tranches, pour des raisons qui échappent à la sagacité des auteurs du rapport et de continuation du retraitement au rythme actuel, comme l’impose le contrat passé avec Cogema, le stock augmenterait annuellement de 2,7 tonnes, ce qui serait à tous égards regrettable.

 

L’entreposage pour un éventuel réemploi ultérieur de cet excédent de plutonium ne serait pas en tout état de cause une solution satisfaisante. En effet, le plutonium subit une dégradation spontanée et progressive, avec la formation d’américium 241 à partir de plutonium 241. Au-delà de 3 à 4 ans, il est nécessaire de le traiter à nouveau pour extraire l’américium. Une opération de ce type se fait à des coûts voisins de ceux du retraitement. Enfin, l’entreposage d’une quantité accrue de plutonium poserait par ailleurs d’évidents problèmes de sécurité et de sûreté coûteux à résoudre.

 

 

La deuxième solution pour faire face à une limitation à 16 tranches consiste à diminuer la quantité de combustible usé retraitée à La Hague. Le contrat actuellement en vigueur entre EDF et Cogema vient à expiration en 2 000. Dès lors, deux situations se profileraient à l’avenir.

 

La première serait que les conditions financières du nouveau contrat de retraitement soient inchangées, en dépit d’une diminution de 200 tonnes environ des quantités retraitées. Dans ce cas de figure, Cogema répartirait ses frais fixes sur une quantité moindre, pour s’assurer un revenu identique. Le coût du Mox pour EDF risquerait de devenir alors prohibitif et d’entraîner une perte de compétitivité, compromettant ainsi son intérêt.

 

La deuxième éventualité serait que Cogema maintienne ses tarifs unitaires aux niveaux actuels afin que son offre reste concurrentielle par rapport à son concurrent britannique BNFL. Dans ce cas, Cogema serait obligée de réduire son outil industriel de La Hague. Dans la mesure où une baisse des contrats de retraitement étrangers est anticipée, il est probable qu’une seule des deux usines serait alors nécessaire pour satisfaire tant la demande nationale que la demande extérieure. EDF chiffre à 1 500 le nombre de suppressions d’emploi direct chez Cogema et à 1 500 emplois supplémentaires les suppressions chez les sous-traitants.

 

 

EDF n’est favorable à aucune de ces solutions. C’est pourquoi la montée à 28 tranches moxées autorisées lui paraît une décision indispensable et urgente.

 

 

  • une attitude prudente pour le reste du parc

L’introduction du Mox n’est pas, en revanche, à l’ordre du jour pour les réacteurs des paliers CP0 (900 MWe de première génération), P4-P’4 (1 300 MWe) et N4 (1 450 MWe). EDF ne la souhaite pas pour le moment. Pour accroître la rentabilité des réacteurs précités, Electricité de France privilégie en effet l’allongement des campagnes à 18 mois. C’est l’amélioration des performances des combustibles qui permet la présence accrue des combustibles dans le cœur, avec comme conséquence heureuse une meilleure rentabilité du combustible et une diminution des frais de déchargement-rechargement.

 

Cette politique d’allongement de la durée des cycles d’exploitation est déjà largement mise en œuvre pour les tranches 1 300 MWe. Elle doit faire l’objet d’un accord de l’autorité de sûreté à la mi-98 pour les tranches CP0. Une réflexion est en cours à ce sujet pour les 4 tranches N4.

 

EDF souligne les avantages d’un parc " bicolore ", dans lequel une partie du parc est " moxée " avec des campagnes annuelles, et l’autre partie est chargée uniquement en combustibles UO2, avec des campagnes à 18 mois.

 

Pour EDF, cette configuration constitue, " dans les conditions actuelles ", une sorte d’optimum entre la nécessité de garantir l’équilibre du réseau par une répartition judicieuse des arrêts de tranche sur l’année, le souci de baisser les coûts de maintenance, la performance des combustibles et la stratégie de l’aval du cycle.

 

  • pour un EPR moxé à 15 %

Pour avoir une vision à long terme de l’aval du cycle, il est évidemment nécessaire d’inclure dans les réflexions l’EPR.

 

L’EPR qu’EDF semble appeler de ses vœux serait moxé à 15 %. Comme on l’a vu précédemment, Framatome estime qu’il est possible de monter beaucoup plus haut en pourcentage d’assemblages de Mox. Mais cette solution ne semble pas retenir l’attention d’EDF qui insiste sur le fait que l’exploitation ne doit pas être sensiblement modifiée par l’introduction du Mox.

 

Les projections effectuées par EDF sur le long terme indiquent qu’un parc de deuxième génération entièrement constitué de réacteurs EPR moxés à 15 % serait en mesure de ramener à zéro vers 2075 le stock de plutonium provenant du combustible à l’oxyde d’uranium.

  • l’urgence de prendre une décision sur l’EPR

EDF a manifesté un soutien constant au projet de réacteur européen à eau pressurisée (EPR). A la mi-98, ce projet paraît tout aussi important pour l’avenir de la production nucléaire d’électricité en France.

 

La position d’EDF est la suivante : d’accord sur le principe pour commander une tête de série, mais à la condition qu’il y ait effectivement une série ultérieure.

 

Depuis le début de son recours au nucléaire, EDF met en œuvre avec constance une politique de paliers. Les effets en sont bien connus : économies d’échelle, retour d’expérience maximal et, au final, rentabilité optimale. Il ne saurait en être différemment pour l’EPR.

 

Les premières tranches du palier CP0 arrivent en fin de vie. Avec une durée de vie d’une quarantaine d’années, cette échéance se profile vers 2015. Il est donc indispensable d’avoir accumulé une expérience significative sur la tête de série.

 

En conséquence, la décision pour la commande du premier EPR – en tant que tête de série - ne saurait tarder. Pour avoir un calendrier optimal, il s’agit de passer commande de la cuve en 1999-2000, et de couler le premier béton en 2003. Plusieurs centrales existantes pourraient accueillir le nouveau réacteur dans le cadre normal d’une tranche de centrale supplémentaire. Les préférences actuelles vont vers Penly et dans une moindre mesure vers Flamanville.

 

Bien évidemment, à la volonté clairement affichée d’EDF, doit correspondre un engagement tout aussi clair des industriels, en l’occurrence Framatome et Siemens.

 

  • adaptations stratégiques et transposition de la directive européenne sur l’ouverture du marché de l’électricité

Alors que l’ouverture du marché de l’électricité entrera en vigueur dès le début 1999, il paraît dommageable à EDF de prendre du retard dans la mise en œuvre d’une stratégie économiquement viable, celle du recours au Mox comme moyen d’épuisement des quantités de plutonium.

 

Le renchérissement de l’option Mox par limitation du nombre de tranches moxées nuirait à sa position concurrentielle. La remise en cause de l’outil industriel de La Hague parait totalement inopportune pour les mêmes motifs. Il convient que l’organisation prévue de longue date se mette en place et produise des résultats en régime stationnaire. Toute décision contraire conduirait à prendre parti prématurément sur des questions qui doivent rester ouvertes jusqu’au terme de 2006 prévu par la loi du 30 décembre 1991.

 

 

 

1.6. Le plaidoyer de Cogema en faveur de l’équilibre économique du cycle du combustible

 

Cogema, acteur majeur du cycle du combustible nucléaire dans le monde, plaide pour la généralisation du Mox, en faisant valoir que seul ce combustible permet de stabiliser l’inventaire de plutonium. Cette considération s’assortit du fait que les performances du combustible Mox s’améliorent constamment. Le respect de la contrainte du plutonium ne pénalise donc pas l’exploitation. Cogema souligne le fait que le dimensionnement de toute la boucle du retraitement et de la fabrication du Mox repose sur le passage à 28 du nombre de tranches autorisées à charger du Mox.

 

 

  • la solution au problème du plutonium : le retraitement et le Mox à 100 %, selon Cogema

 

Une recharge de Mox à 30 % avec une teneur de 5,3 % en plutonium comprend environ 350 kg de plutonium. Après irradiation, on retrouve la même quantité globale de plutonium. Le bilan est donc nul. Si l’on considère le plutonium présent dans le combustible usé, aucune quantité supplémentaire de plutonium n’est donc créée. Au contraire, dans le cas d’un réacteur chargé en combustible standard à l’oxyde d’uranium, l’inventaire en plutonium s’accroît de 200 kg. Le tableau suivant résume ces résultats incontestables.

 

Tableau 22 : la non-création de plutonium par un réacteur moxé

 

pour un réacteur

réacteur fonctionnant à l’oxyde d’uranium

réacteur fonctionnant avec 30 % de Mox

Plutonium dans le combustible neuf

0 kg

350 kg

Plutonium présent dans le combustible irradié

200 kg

350 kg

bilan final

+ 200 kg

0 kg

 

Si l’on étend ce raisonnement à un parc théorique de 50 réacteurs de 1000 MWe, l’on constate également que seuls un parc de 100 % de réacteurs moxés 30 % permet de ne pas augmenter l’inventaire de plutonium.

 

Tableau 23 : bilan plutonium pour un parc théorique de 50 réacteurs de 1000 MWe

 

part des réacteurs à oxyde d’uranium

part des réacteurs moxés à 30 %

quantités nettes de plutonium produites

100 %

0

10 t/an

60 %

40 %

6 t/an

0

100 %

0

 

Cogema ajoute que la généralisation du Mox peut être envisagée à terme, en raison de l’augmentation des performances de ce type de combustible (voir tableau ci-après).

 

Tableau 24 : les performances du Mox bientôt équivalentes à celles du combustible standard

 

type de combustible

UO2

(1985)

UO2

(1995)

Mox

série

Mox

prototype

taux de combustion MWj/t

35 000

47 000

37 000

46 500

suivi de charge

oui

oui

oui

oui

tendance du taux de combustion

en hausse

en hausse

en hausse

en hausse

 

Ce raisonnement ne recouvre toutefois pas les souhaits d’EDF, qui, pour le moment, n’envisage en aucune façon un parc tout Mox.

 

  • l’équilibre global de l’aval du cycle selon Cogema

 

Le dimensionnement de la chaîne de retraitement et de recyclage du combustible irradié repose, selon Cogema, sur un nombre de tranches " moxées " égal à 28. EDF est tout à fait d’accord, ainsi que cela a été vu plus haut. Un examen attentif des délais qui s’accumulent dans ce cycle montre toutefois un effet " retard " très important entre le déchargement du combustible et le recyclage en réacteur du plutonium formé.

 

Le dimensionnement de l’usine UP2-800 correspond à une capacité de retraitement de 850 à 1100 t/an. Le tonnage de plutonium récupéré est alors de l’ordre de 8,5 à 11 tonnes par an. Ceci permet à l’usine Melox de fabriquer 110 à 135 tonnes de combustible Mox par an. Ce qui correspond aux besoins de 28 tranches autorisées à fonctionner avec du Mox. Le schéma suivant synthétise, selon Cogema, l’architecture du cycle, telle qu’elle a été pensée et réalisée dans sa cohérence initiale.

 

Figure 8 : schéma de synthèse sur l’aval du cycle vu par Cogema

 

 

L’examen des durées de chacune des étapes de ce cycle est utile pour chiffrer l’effet retard inhérent au cycle du combustible. Entre le moment où le combustible est déchargé d’une centrale et celui où le Mox résultant est fabriqué, il s’écoule en effet 15 ans. Ceci explique qu’il ait été nécessaire d’anticiper les autorisations de chargement de Mox. Ceci implique qu’il soit difficile – car mettant en œuvre des constantes de temps très longues – de modifier le système actuel, alors que la montée en régime s’effectue. Selon la Cogema, l’industrie française se trouve " au milieu du gué ".

 

Une orientation a été prise. Sa cohérence et sa rentabilité imposent que l’on atteigne l’état stationnaire. Toute modification d’une partie de l’aval du cycle ruinerait l’ensemble du système.

 

 

  • Cogema en attente des autorisations de dimensionnement optimal des ses installations de fabrication de Mox

 

 

Pour Cogema, le Mox est incontestablement un créneau d’avenir. Ses clients ne sont pas seulement français. Bien au contraire, Cogema fournit des producteurs d’électricité allemands, belges, suisses et japonais. Les perspectives commerciales du Mox sont brillantes. Le tableau suivant indique quelles sont les anticipations de Cogema sur ce marché.

 

Tableau 25 : perspectives de production de Mox par le groupe Cogema

 

pays

société

localisation

production de Mox en 1997

production de Mox prévue en 2000

consommation de plutonium en 2000

France

Melox

Marcoule

102 t/an

250 t/an

10 à 12 t/an

France

Cogema

Cadarache

28 t/an

40 t/an

2 à 3 t/an

Belgique

Belgonucléaire

Dessel

37 t/an

40

2 à 3 t/an

 

Cogema, qui prévoit une augmentation de ses marchés en France et à l’étranger pour le Mox, est en attente de deux décrets relatifs à l’usine Melox. Le premier décret concerne la possibilité d’utiliser les lignes de production actuelles pour la fabrication de combustibles Mox commandés par des clients étrangers. Le deuxième décret porte sur l’autorisation de capacité globale de l’usine.

 

 

1.7. la nécessité de prendre parti pour le Mox mais aussi d’augmenter les marges disponibles pour l’entreposage du combustible irradié non retraité

 

L’extension des autorisations de chargement en Mox à 28 réacteurs semble indispensable à vos Rapporteurs. Les avantages en sont d’une part le freinage des quantités de plutonium séparé sur étagères et d’autre part le recyclage à un coût compétitif d’une matière énergétique précieuse. Mais, à l’inverse, la question de l’entreposage des combustibles irradiés non retraités, que votre Rapporteur avait en mars 1996 mise en pleine lumière.

 

 

  • la France dans la ligne internationale pour le recours au Mox

C’est au début des années 1970 que les premiers programmes de recyclage de Mox dans des réacteurs nucléaires à objet commercial ont débuté. Siemens a en effet introduit des assemblages combustibles comprenant du plutonium dans le réacteur KWO de la centrale d’Obrigheim et dans la centrale suisse de Beznau-2 sur la période 1972-1993. La France, quant à elle, a commencé en 1987, avec un premier chargement de 16 assemblages Mox dans la tranche B1 de Saint Laurent des Eaux.

 

Aujourd’hui, le Mox est mis en œuvre non seulement par la France et l’Allemagne mais aussi par la Belgique et la Suisse. Le tableau suivant présente la situation dans chacun des pays.

 

Tableau 26 : les réacteurs nucléaires utilisant le Mox dans le monde à fin 1997

 

pays

nombre de réacteurs nucléaires

capacité installée (MWe)

nombre de tranches autorisées à charger du Mox

nombre de tranches chargées en Mox

France

56

58 500

16

16 (été 1998)

Belgique

7

5712

2

2

Suisse

5

3 079

4

3

Japon

54

43 850

1

1 (en 2 000)

Allemagne

20

22 282

11

8

S’agissant des Etats-Unis, il faut noter une évolution sensible des responsables et du Congrès et en particulier de Pete Domenici, sénateur du Nouveau Mexique, Président de la Commission du Budget, Président de la Sous-Commission des appropriations pour l'énergie et l'eau ; Président de la Commission de la politique énergétique et de la R&D. Les Etats-Unis ont renoncé au retraitement et à la fabrication de Mox : c'est une erreur selon Pete Domenici. Pour celui-ci, le cycle ouvert comporte au moins deux inconvénients : c'est un gaspillage du contenu énergétique de l’uranium et du plutonium. Cette option entraîne en outre l'obligation de stocker le combustible irradié en site profond alors que le site de Yucca Mountain n’est pas prêt à entrer en service. En outre l’interdiction du Mox prive d’une solution qui pourrait être précieuse pour épuiser les stocks de plutonium militaire.

 

 

 

• le Mox promu aux Etats-Unis par les négociations stratégiques avec la Russie

Le démantèlement d’ogives nucléaires américaines et russes résulte du traité de limitation des armes stratégiques. Les deux parties cherchent un strict parallélisme dans la démilitarisation du plutonium de récupération.

 

La position de la Russie est que le plutonium constitue une matière première énergétique de grande valeur. Son recyclage sous forme de Mox s’impose donc. Pour autant, la construction d’usines de Mox et la modification des réacteurs existants nécessitent des investissements financiers importants.

 

En réalité, la Russie est en situation d’imposer, par souci de symétrie, la Moxification comme méthode de démilitarisation du plutonium. Elle pourrait imposer aux Etats-Unis d’utiliser le Mox. Elle pourrait aussi obliger les Etats-Unis à financer ses propres dépenses relatives à l’utilisation du Mox.

 

Ironie de l’histoire, les Etats-Unis ont renoncé depuis la présidence Carter au retraitement et, subséquemment, à l’usage civil du plutonium sous forme de Mox. Est-ce à dire que le Mox pourrait être désormais imposé par les obligations prioritaires du désarmement ?

 

Le DOE, quant à lui, tente de populariser la démilitarisation du plutonium par immobilisation définitive dans des matrices indestructibles du type céramiques. Le Mox lui paraît difficile à imposer aux compagnies d’électricité. La symétrie Etats-Unis – Russie lui semble nécessaire dans le résultat – la démilitarisation définitive – plutôt que dans ses modalités.

 

En vérité, l’utilisation du Mox aux Etats-Unis dépendra de la volonté de la Russie d’imposer ce combustible pour dénaturer le plutonium militaire.

 

  • le Mox irradié : une bonne matrice d’immobilisation du plutonium

 

Or le combustible Mox, non seulement permet de recycler le plutonium, mais au final délivre après irradiation un plutonium disséminé dans la matrice du combustible et moins propre à l’utilisation militaire, en raison de la présence d’une part importante d’isotopes pairs, ainsi que le montre le graphique suivant.

 

Figure 9 : teneurs comparées en plutonium fissile du combustible standard et du Mox irradiés, selon Cogema

Toutes ces raisons militent donc en faveur d’une montée en régime du combustible Mox dans les 28 tranches prévues à cet effet. Selon vos Rapporteurs, il importe de porter à son équilibre économique le système initialement prévu. Ses avantages sont supérieurs en termes écologiques à toute solution prématurée d’arrêt. Sa viabilité économique est par ailleurs démontrée. Il paraîtrait dangereux de bouleverser la gestion actuelle alors que des solutions opérationnelles de remplacement ne seront prêtes qu’à l’échéance de 2006.

 

  • la nécessité d’augmenter les marges d’entreposage du combustible irradié

 

Un éventuel blocage des autorisations de chargement du Mox à 16 tranches n’aurait pas pour seule conséquence une remise en cause de l’équilibre économique de l’aval du cycle. Il entraînerait aussi, selon EDF, une saturation rapide des capacités d’entreposage des combustibles irradiés. Ceci illustre le fait que le système actuel d’entreposage du combustible irradié, en attente de retraitement ou non, atteint ses limites.

 

 

Il est clair que le blocage actuel des autorisations aurait des conséquences graves sur toute la filière avec la saturation des piscines et un accroissement inévitable des stocks de plutonium. C’est peut-être une autre stratégie de blocage de la filière nucléaire dont on voit se dessiner les contours.

 

 

Les capacités totales d’entreposage du combustible irradié en piscine s’élèvent à 4 000 tonnes sur les sites des centrales nucléaires d’EDF. Les capacités actuellement libres sont de 1 100 tonnes. En cas d’arrêt immédiat des évacuations de combustibles irradiés vers La Hague, par exemple à la suite d’un blocage des transports, ces capacités d’entreposage sur site seraient saturées en un an.

 

Les piscines de La Hague présentent quant à elles une capacité de 18 000 tonnes. Ces piscines ne peuvent accueillir que des combustibles en attente de retraitement, qu’ils proviennent d’EDF ou de clients étrangers. Les piscines de La Hague ne sont agréées qu’à ce titre. Il ne s’agit pas in fine d’un centre d’entreposage. La capacité réservée à EDF est de 14 000 tonnes.

 

 

Le chargement en Mox de 28 tranches correspond au retraitement effectif de 850 tonnes par an. EDF indique que les 350 tonnes non retraitées sont en réalité considérées comme en attente d’un retraitement différé. Elles sont donc entreposées à La Hague. Avec les flux correspondant aux 28 tranches, la saturation des emplacements réservés à EDF n’interviendrait qu’en 2018. Des solutions de stockage à sec seront alors vraisemblablement disponibles. Le système actuel est donc bien calibré.

 

Au contraire, avec le passage à un retraitement de 550 tonnes par an, correspondant à 16 tranches ""moxées ", la saturation des espaces piscine réservés à La Hague pour EDF interviendrait en 2008. Dans le cas extrême d’un arrêt du retraitement à l’expiration du contrat actuel d’EDF avec Cogema, c’est en 2004 que les piscines seraient " bouchées ".

 

 

Alors que les études de l’entreposage à moyen terme des combustibles commencent seulement, vos Rapporteurs estiment qu’il n’est pas opportun de modifier l’équilibre d’un cycle qui semble, au demeurant, fondé sur le plan économique.

 

 

 

2. Les limites probables de la séparation et de la transmutation et le dilemme transmutation-stockage

 

 

La transmutation se présente comme la solution idéale en matière de gestion des déchets. Il s’agit, par des réactions nucléaires appropriées déclenchées par des bombardements de neutrons, de transformer des éléments fortement radioactifs en des éléments peu radioactifs et si possible stables ou au moins à courte période, donc à faible durée de vie.

 

La loi du 30 décembre 1991 a introduit cet axe de recherche en un temps où la solution qui semblait la plus adéquate à l’ensemble des acteurs de la filière était celle du stockage définitif en couches géologiques. Un peu plus de 7 années plus tard, il semble bien que la transmutation soit devenue à son tour une sorte de solution magique pour régler la question des déchets nucléaires.

 

Pour certains experts, il est en effet très probable que la science trouve une solution à cette question. La base de cette conviction est la rapidité de développement des sciences et techniques nucléaires. En un demi-siècle, l’on est en effet passé de la connaissance de la matière, avec en particulier la découverte de la structure du noyau atomique, à une application industrielle - l’électricité d’origine nucléaire - qui peut fournir jusqu’à 400 TWh par an dans le cas de la France. Il serait en conséquence pessimiste de penser que l’on ne puisse pas, au cours du prochain demi-siècle, trouver la méthode idoine et économique pour casser les noyaux lourds des actinides mineurs en autant de noyaux de plus petite taille, radioactifs à courte période pour donner in fine des produits cette fois stables et inoffensifs et pour transformer les noyaux légers des produits de fission. Le corollaire de cette position est que dans l’intervalle qui nous sépare de cet idéal, toute décision doit être réversible ou ne pas être.

 

En réalité, la loi du 30 décembre 1991 a fixé un rendez-vous – 2006 – pour faire le point sur les résultats de recherches, qui dans l’intervalle, doivent concerner aussi bien la séparation et la transmutation que le stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes et que les procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface.

 

A bien considérer l’avancement de la recherche sur ces questions, force est de constater qu’en l’état actuel des choses, les deux voies de la séparation-transmutation et du stockage paraissent plus complémentaires qu’opposées. Les résultats acquis à ce jour indiquent que la transmutation est probable pour certains éléments et semble difficile pour d’autres. Sans doute s’agit-il d’un état transitoire dans une démarche scientifique et technologique où les progrès ne sont pas souvent linéaires. Mais il apparaît probable qu’il faudra le moment venu sortir du dilemme transmutation-stockage en utilisant des critères sur la définition desquels la réflexion devrait commencer. Parmi ces critères, figurent bien évidemment les coûts absolus et relatifs des différentes méthodes disponibles.

Dans le présent chapitre, vos Rapporteurs traitent du dilemme transmutation-stockage tel qu’on peut en deviner les contours aujourd’hui. Dans un premier temps, leurs réflexions portent sur l’étape préalable - et indispensable - à la transmutation qu’est la séparation des différents radioéléments présents dans les combustibles irradiés. Cette séparation pose des problèmes techniques difficiles et devra probablement s’effectuer dans des installations complexes dont le coût ne sera pas négligeable.

 

Quant à la transmutation, si elle apparaît théoriquement fondée, il reste à en explorer la faisabilité spécifique sans doute pour chaque élément en utilisant Phénix, la seule installation existante après la fermeture de Superphénix, mais aussi en imaginant des installations plus durables et plus appropriées aux études. Parallèlement, il faut initier la réflexion sur des incinérateurs dédiés à la transmutation des déchets.

 

Quant au stockage en couche géologique profonde, il pourrait représenter une solution de rattrapage en cas d’échec de la recherche et en cas d’urgence.

 

Jusqu’où aller dans la transmutation ? A quelles conditions faudrait-il admettre le recours à la solution de rattrapage qu’est le stockage ? La réflexion proposée ci-après a pour but d’éclairer cette problématique, en commençant à proposer des critères qui pourraient servir à mettre le curseur sur l’une ou l’autre des extrémités de l’échelle - ou à mi-distance - .

 

 

2.1. les difficultés de la séparation

 

Les recherches sur la séparation sont conduites principalement par le CEA à Marcoule où elles mobilisent environ 230 chercheurs, et concernent la faisabilité scientifique et technique de la séparation.

D’une manière générale, les recherches sur la séparation ont été, au départ, focalisées sur les actinides mineurs. Elles portent désormais aussi sur la séparation des produits de fission à vie longue en raison de leur mobilité potentielle dans le sol. L’approfondissement des recherches se poursuit par la prise en compte de produits de fission et d’activation présents à des concentrations de moins en moins élevées.

 

C’est la spécificité de la recherche sur les actinides mineurs et les produits de fission que de devoir fragmenter toujours avant les morceaux d’un puzzle que l’on croyait plus grossier au départ.

 

Pourquoi ce grossissement progressif du microscope et pourquoi cette volonté d’aller toujours plus loin dans la séparation des éléments ? Pour une raison essentielle : pour étudier, à l’étape ultérieure, la transmutation, il faut pouvoir disposer d’éléments individualisés, sous peine de ne pouvoir distinguer les différences de comportement.

  • la séparation du neptunium et du technétium, un problème réglé

Le procédé PUREX permet la séparation à 99,8 % de l’uranium et du plutonium. L’utilisation du tributylphosphate lors du même procédé permet aussi de séparer le neptunium sans modification importante des installations techniques actuelles.

 

Ce résultat est très appréciable. Le neptunium 237 est en effet présent à hauteur de 430 g par tonne de combustible UO2 irradié et sous cette seule forme isotopique. Par ailleurs, sa période est de 2 100 000 années. Il s’agit d’un émetteur a .

 

Le neptunium est présent sous le seul isotope 237, quel que soit le taux d’irradiation du combustible et ceci aussi bien pour le combustible à l’oxyde d’uranium que pour le Mox . La figure ci-après indique l’origine et l’évolution du neptunium présent dans le combustible irradié.

 

 

Figure 10 : formation et décroissance radioactive du neptunium

 

ß a

Pu 241 Am 241 Np 237

13 ans 458 ans

a 2,1.106 ans

a ß

Th 229 U 233 Pa 233

1,6.106 ans 27 jours

Le technétium 99 est également extrait par le même procédé. Toutefois, le résultat n’est que partiel. Cet élément est en effet présent, non seulement en solution, mais aussi sous forme de résidus solides représentant quelques dizaines de pour cents, que l’on ne sait pas traiter pour l’instant.

 

 

Mais la séparation du neptunium 237 ne suffit pas. En effet, il est lui-même formé par la décroissance a de l’américium 241, ce dernier résultant aussi de la décroissance b du plutonium 241. Il importe donc d’extraire aussi ces éléments, faute de quoi celle du neptunium serait inutile.

 

  • l’américium et le curium : deux actinides mineurs particulièrement encombrants

Les figures suivantes indiquent le processus de formation des différents isotopes de l’américium.

 

Figure 11 : formation et décroissance radioactive de l’américium 242 présent dans le combustible irradié

? ß-

Am 242m Am 242 Cm 242

152 ans 458 ans

a 163 jours

a

U 234 Pu 238

86 ans

 

Figure 12 : formation et décroissance de l’américium 243 présent dans le combustible irradié

ß- a

Pu 243 Am 243 Np 239

7 370 ans

ß- ,35 jours

a

U 235 Pu 239

24 400 ans

Les deux isotopes 241 et 243 de l’américium voient leur proportion inchangée, quel que soit le taux d’irradiation. L’américium 242 n’est présent, et encore à l’état de trace, que dans le combustible irradié.

 

 

Tableau 27 : composition isotopique de l’américium présent dans le combustible irradié

 

Les figures suivantes présentent les chaînes de décroissance des différents isotopes du curium.

Figure 13 : formation et décroissance radioactive du curium 242

 

? ß-

Am 242m Am 242 Cm 242

152 ans 458 ans

a 163 jours

a

U 234 Pu 238

86 ans

 

Figure 14 : décroissance radioactive du curium 243

a

Cm 243 Pu 239

32 ans

 

Figure 15 : formation et décroissance radioactive du curium 244

ß- a

Am 244 Cm 244 Pu 240

17,6 ans

 

Le tableau suivant indique que le curium est l’isotope prépondérant dans le combustible irradié, seul le Mox irradié contenant des isotopes 243 et 244 dans des proportions d’ailleurs très réduites.

 

Tableau 28 : composition isotopique du curium présent dans le combustible irradié

  • le bloc difficile à entamer de l’américium et du curium

 

Il est possible d’extraire en bloc l’américium et le curium avec les lanthanides et les produits de fission. Le procédé DIAMEX, dont la faisabilité technique est aujourd’hui démontrée, permet d’aller au-delà et de récupérer, d’un côté, les produits de fission et, de l’autre, un mélange d’américium, de curium et de lanthanides.

 

Au-delà, dans une étape ultérieure, le procédé SANEX permet, dans une étape ultérieure, de séparer l’ensemble américium-curium des lanthanides. Toutefois, les performances du procédé semblent jusqu’ici inférieures aux espérances. Dans l’état actuel des choses, pour une unité d’actinides mineurs, l’on extrait 50 fois plus de lanthanides.

 

En pratique, la séparation des actinides mineurs d’une part, et des lanthanides d’autre part, revêt une grande importance et une grande difficulté. Les propriétés physico-chimiques de l’ensemble de ces éléments sont en effet voisines. L’ingéniérie moléculaire permettra de préparer et de tester différents types de molécules de séparation. Selon toute vraisemblance, une ou plusieurs molécules seront disponibles en 2001, pour isoler l’américium et le curium des lanthanides.

 

Mais il faudrait aller plus loin. La séparation de l’américium par rapport au curium, même si elle paraît difficile, semble également indispensable. La présence de curium compliquerait la transmutation ultérieure de l’américium, en dépit de sa concentration faible dans les solutions. Le curium est présent sous la forme de trois isotopes, comme cela apparaît dans le tableau suivant.

 

Tableau 29 : caractéristiques des actinides mineurs présents dans les combustibles UOx irradiés à 33 000 MWj/t, 3 ans après le déchargement

 

Isotope

Période (années)

Abondance (g/t)

Teneur isotopique

Radioactivité spontanée

Neptunium 237

2,1.106

430

100 %

a

Curium 242

 

0,003

   

Curium 243

28

0,3

1 %

a , neutrons

Curium 244

18

21,4

94 %

a , neutrons

Curium 245

8 500

1,2

5 %

 

Curium 246

 

0,2

   

Américium 241

430

220

67 %

a , g mous

Américium 242

 

0,7

   

Américium 243

7 400

100

31 %

a , g mous

 

 

Soumis à des flux de neutrons, le curium 243 et le curium 244 se caractérisent par des comportements neutroniques très différents de ceux des isotopes de l’américium. La séparation de ces deux éléments paraît donc nécessaire.

 

Selon le CEA, une molécule pour la séparation du curium de l’américium devrait être disponible en 2006. Il restera à évaluer les coûts de sa mise en œuvre.

 

  • la séparation des produits de fission

 

 

La séparation des produits de fission revêt une importance nouvelle dans les travaux relatifs à l’axe 1 de la loi du 30 décembre 1991. D’une manière générale, les produits de fission, émetteurs b et g sont globalement moins radiotoxiques que les actinides mineurs. Mais leur mobilité par lixiviation par les eaux de ruissellement paraît potentiellement plus critique que celle des actinides.

 

Les efforts les plus importants pour la séparation des produits de fission doivent donc porter sur les éléments à vie longue dont les composés sont solubles dans l’eau. A cet égard, l’iode et le césium constituent les cas les plus préoccupants.

 

 

Toutefois, le paradoxe de la séparation est là encore que l’iode et le césium ne sont pas les éléments les plus abondants dans le combustible irradié, ainsi que le montre le tableau suivant.

 

 

Tableau 30 : concentrations des différents produits de fission dans le combustible irradié de référence (UO2 enrichi à 3,5 % - 33 000 MWj/t – gaine zircalloy – 3 ans après le déchargement)

 

élément –

ensemble des isotopes

concentration en g pour 1 tonne de combustible irradié

Zirconium (Zr)

4392,5

Césium (Cs)

2672,7

Palladium (Pd)

1617

Samarium (Sm)

871,7

Technétium (Tc)

810

Iode (I)

208,2

Sélénium (Se)

54,5

Etain (Sn)

42,3

 

 

Comme pour les actinides mineurs, l’objectif est d’isoler les radioéléments à vie longue manifestant une radioactivité spontanée dangereuse. On trouvera page suivante un tableau général présentant les caractéristiques de radioactivité des différents produits de fission.

 

 

Tableau 31 : concentrations des différents isotopes des produits de fission dans le combustible irradié

 

Élément

Période (années)

Abondance (g/t)

Teneur isotopique

Radioactivité spont.

Césium 133

Stable

1144

42,8 %

-

Césium 134

2,1

38,7

1,4 %

g durs

Césium 135

2 300 000

360

13,5 %

 

Césium 137

30

1130

42,3 %

g durs

Césium total

-

2672,7

   

Iode 127

Stable

38,2

18,3 %

-

Iode 129

16 000 000

170

81,7 %

b -, g mous

Iode 131

8 jours

-

 

b -, g durs

Iode total

 

208,2

   

Palladium 104

Stable

198

12,2 %

-

Palladium 105

Stable

382

23,6 %

-

Palladium 106

Stable

288

17,8 %

-

Palladium 107

6 500 000

200

12,4 %

b -

Palladium 108

Stable

129

8,0 %

-

Palladium 109

0,0001

 

0

-

Palladium 110

Stable

420

26,0 %

-

Palladium total

 

1617

 

-

Sélénium 77

stable

0,7

1,3 %

-

Sélénium 78

stable

2,5

4,6 %

-

Sélénium 79

65 000

4,7

8,6 %

b -

Sélénium 80

stable

13,8

25,3 %

-

Sélénium 82

stable

32,8

60,2 %

 

Sélénium total

 

54,5

   

Samarium 147

1,1. 1011

186

21,3 %

 

Samarium 148

8. 1015

118

13,5 %

 

Samarium 149

4. 1014

3,7

0,4 %

 

Samarium 150

stable

275

31,5 %

-

Samarium 151

90

16

1,8 %

b -

Samarium 152

stable

143

16,4 %

-

Samarium 153

0,005

100

11,5 %

 

Samarium 154

stable

30

3,4 %

-

Samarium total

 

871,7

 

-

Etain 115

stable

0,1

0,2 %

-

Etain 116

stable

2

4,7 %

-

Etain 117

stable

4,2

9,9 %

-

Etain 118

stable

3,6

8,5 %

-

Etain 119

stable

3,7

8,7 %

-

Etain 120

stable

3,6

8,5 %

-

Etain 121

55

0,3

0,7 %

-

Etain 122

stable

4,8

11,3 %

-

Etain 124

stable

     

Etain 126

100 000

20

47,3 %

b , g

Etain total

 

42,3

   

Technétium 99

210 000

810

100 %

b

Zirconium 90

stable

58,5

1,6 %

-

Zirconium 91

stable

602

16,8 %

-

Zirconium 92

stable

644

18,0 %

-

Zirconium 93

1 500 000

713

19,9 %

b -

Zirconium 94

stable

765

21,4 %

-

Zirconium 95

0,02

 

0

g durs

Zirconium 96

stable

800

22,3 %

-

Zirconium total

 

4392,5

 

-

 

 

 

 

Le problème de la séparation du technétium et de l’iode semble convenablement résolu par le procédé Purex. Au contraire, le cas du césium est particulièrement difficile.

 

  • le butoir du césium

 

L’extraction de l’ensemble des isotopes du césium devrait être possible avec des molécules telles que les calixarènes. Mais le césium est présent dans les solutions sous quatre formes isotopiques qui présentent des propriétés de radioactivité très différentes.

 

Les isotopes 134 et 137 du césium pourraient justifier d’un stockage en surface, parce que leur période est courte. L’isotope 135 est quant à lui à vie longue et devrait être entreposé en profondeur. Une complication du problème apparaît avec l’isotope 133 du césium qui, lui, est stable. En effet, par irradiation neutronique, il donne naissance au césium 135. Par conséquent, si l’on ne parvenait pas à extraire le césium 133, l’irradiation neutronique conduirait à renforcer la teneur en césium 135, compromettant le rendement global de l’opération.

 

La séparation des différents isotopes du césium constitue donc un objectif théorique essentiel. Mais elle sera très difficile. Les molécules utilisées pour l’extraction différencient les composés en fonction de leur cortège électronique qui sont identiques pour les isotopes d’un même élément.

 

C’est pourquoi on étudie également l’immobilisation du césium dans des réseaux cristallins. Les verres pourraient convenir. Les matrices du type de celles présentées dans le précédent chapitre pour l’immobilisation du plutonium : phosphates de calcium – apatites –, titanates ou zircons pourraient également servir. Leur durabilité se compte sur plusieurs millions d’années comme l’a montré l’analyse des roches présentes dans le réacteur naturel formé dans les roches à Oklo au Gabon.

 

 

  • une connaissance de plus en plus fine des combustibles irradiés

 

 

L’avancement des études sur la séparation des produits de fission s’accompagne d’une prise en compte de plus en plus fine de la réalité. Ce sont à la fois les techniques d’analyse et les modèles chimiques qui progressent et permettent de traiter le cas de produits de fission ou d’activation à vie longue présents en solution à des concentrations de plus en plus faibles.

 

Le tableau suivant présente cette définition de plus en plus fine de la connaissance que l’on a du combustible irradié.

 

Ainsi des radioéléments comme le carbone 14 ou le chlore 36 provenant de la fission sont désormais étudiés. De même, les produits d’activation des gaines et des embouts comme le manganèse 53, le nickel 59 ou 63 sont eux aussi compris dans les études.

 

 

Tableau 32 : inventaire en Produits de Fission et Produits d’Activation à Vie Longue – combustible UOx irradié à 45 000 MWj/t

 

radionucléide

provenance

période

radioactivité spontanée

inventaire

combustible

structures

(années)

(g/tMLi)

Carbone 14

98 %

2 %

5 730

0,16

Calcium 41

100 %

0

80 000

0,36

Chlore 36

91 %

9 %

300 000

g mous

2,4

Césium 135

100 %

0

2 300 000

480

Iode 129

100 %

0

15 000 000

230

Manganèse 53

10 %

90 %

1 000 000

4. 10-7

Molybdène 93

59 %

41 %

3 500

0,1

Niobium 94

5 %

95 %

20 000

1,9

Nickel 59

4 %

96 %

75 000

50

Nickel 63

5 %

95 %

100

9,5

Palladium 107

100 %

0

6 500 000

320

Sélénium 79

100 %

0 %

65 000

6,2

Samarium 121

100 %

0

90

18

Etain 121m

95 %

5 %

60

g durs

0,5

Etain 126

100 %

0

100 000

30

Technétium 99

100 %

0

210 000

1 100

Zirconium 93

94 %

6 %

1500000

g durs

1 000

 

Les recherches correspondantes sont à la frontière de la recherche et du développement de procédés. Il est normal que des paramètres de coût ne soient pas introduits dans la décision de poursuivre dans cette voie. Mais, en cas de pénurie de ressources budgétaires, des arbitrages pourraient être inévitables, vu l’extrême dilution de certains éléments.

 

  • le coût probablement important de la séparation

 

Sur le plan industriel, la séparation du neptunium nécessitera des modifications relativement simples des installations de La Hague. Celles-ci pourraient être réalisées dans les dix ans. En revanche, la séparation des actinides mineurs ne se pourra se faire que dans des chaînes d’atelier complexes nouvelles. Elle sera sans doute onéreuse.

 

La raison essentielle en est que les actinides mineurs ont une radioactivité a spontanée telle qu’il faut prendre des précautions pour les manipuler.

 

Le neptunium 237 est un émetteur a qui en tant que tel ne présente pas de danger à manipuler. Une faible épaisseur de matière suffit à arrêter ce type de rayonnement. Mais dans sa chaîne de décroissance radioactive, le neptunium 237 donne naissance à un isotope du protactinium qui, lui, est un émetteur g . D’où la nécessite de prévoir une protection plus forte contre ce rayonnement parasite.

 

Quant à l’américium 241 et à l’américium 243, ce sont des émetteurs a et g . Le curium 243 et le curium 244, pour leur part, sont des émetteurs a mais le bombardement des atomes d’oxygène proches par ces noyaux d’hélium génère des neutrons, de sorte qu’il faut aussi prendre en compte le flux neutronique associé.

 

La question de la criticité de l’américium et du curium ne préoccupe pas le CEA outre mesure. Si le neptunium peut être manipulé en boîte à gant, l’américium et le curium doivent l’être dans des installations plus protégées. On sait résoudre les problèmes de criticité afférents. La forte radioactivité de ces corps préviendra d’ailleurs tout risque.

 

Il n’en reste pas moins qu’en raison des protections à prendre contre les rayonnements, le coût de la séparation risque d’être élevé, aussi bien en investissements qu’en fonctionnement.

 

Le coût d’installation d’un atelier pilote comme ceux de Marcoule s’élève à 450 millions de F. Le coût unitaire d’un atelier industriel hautement protégé comme ceux de La Hague est de l’ordre du milliard de francs. Plusieurs ateliers étant nécessaires selon toute probabilité, le coût de la séparation des actinides mineurs et des produits de fission devrait atteindre 5 milliards de F, en termes d’investissement initial.

 

Ces coûts prévisibles sont à mettre en rapport avec les quantités concernées. La figure suivante rappelle que pour une tonne de combustible irradié, l’on récupère 3 kg de radionucléides à vie longue, soit 0,3 %.

 

Figure 16 : les radioéléments à vie longue ou des coûts de séparation très importants pour 0,3 % du combustible usé






 

 

 

 

Il pourrait y avoir à l’évidence, dans l’état actuel des choses, une difficulté à expliquer la pertinence de tels investissements, par rapport à l’entreposage de combustibles irradiés ou par rapport à la situation actuelle où les actinides mineurs et les produits de fission sont immobilisés de concert dans des verres.

 

Lorsque les recherches auront abouti, il faudra sans aucun doute poser la question du coût. Pour minimiser les déchets ultimes – ceux qui ne pourraient être transmutés- , faudra-t-il investir dans des installations de séparation très coûteuses.

 

  • La diminution des volumes des rejets et des déchets B

 

 

Le programme SPIN comprend deux volets. Le premier intitulé ACTINEX vu plus haut concerne la séparation des radionucléides à vie longue en vue de leur transmutation. Le second intitulé PURETEX est relatif à la réduction de l’activité et du volume des déchets B ainsi qu’à celle de l’activité rejetée sous la forme de rejets atmosphériques et d’effluents liquides.

 

Les progrès enregistrés dans ce domaine sont d’ores et déjà considérables. Le programme PURETEX qui entrera en service en 2000 donnera un élan supplémentaire.

 

En 1980, les volumes destinés à un stockage de sécurité en profondeur s’élevaient à 3 m3 par tonne de combustible irradié retraité, comprenant les déchets bitumés, les déchets technologiques coulés dans des blocs de béton, les ciments des coques et embouts et les verres comprenant les actinides mineurs et les produits de fission.

 

En 1995, le total n’atteignait plus qu’1 m3 par tonne de combustible UOx. Il est prévu de descendre à 0,5 m3 en fin de période 1996-2000. Par comparaison, le volume des déchets à stocker en profondeur dans l’hypothèse du non-retraitement s’établit à 2 m3.

 

Il reste, semble-t-il, à déterminer l’impact du retraitement poussé, sur les volumes des déchets technologiques. Ce point semble fondamental pour l’acceptation par le public de la séparation et la transmutation. Une diminution significative de la période des déchets ultimes sera d’autant plus convaincante qu’elle ne s’accompagnera pas d’une augmentation importante des déchets générés par les opérations de séparation.

 

 

2.2. les limites des études sur la transmutation avec Phénix

 

La transmutation de noyaux lourds s’opère avec des flux neutroniques de grande intensité. En réalité, soumis à un flux de neutrons, ceux-ci réagissent de deux façons. Certains d’entre eux absorbent purement et simplement un neutron et se transforment en un noyau plus lourd : c’est le phénomène de la capture. D’autres sont cassés en divers produits par hypothèse moins lourds : c’est le phénomène de la fission.

 

La transmutation s’opère principalement par fission dans le cas de noyaux lourds, comme les actinides mineurs. En revanche, la transmutation s’effectue par capture pour les produits de fission à vie longue.

 

Pour que la fission intervienne, il faut que les neutrons aient une énergie suffisante. La physique neutronique démontre deux faits essentiels. Plus les neutrons incidents sont énergétiques et plus l’on fait de fission et moins l’on fait de capture. Plus les neutrons sont énergétiques et plus la réaction globale de fission est rapide.

 

Implicitement, ces résultats posent la question de la source de neutrons à utiliser pour les expériences de transmutation. En particulier, celle-ci doit être assez puissante pour permettre des expériences pas trop longues à réaliser. Mais il faut aussi que cette source de neutrons soit d’une puissance modulable afin que l’on puisse traiter à la fois le cas des actinides mineurs et celui des produits de fission.

 

Les produits de fission à vie longue sont des éléments dont les noyaux sont de masse atomique moyenne. Etant eux-mêmes le fruit de réactions de fission de noyaux lourds, ce sont déjà en quelque sorte des " cendres ".

 

Pour les transmuter, il sera nécessaire de disposer de neutrons d’énergie intermédiaire entre celle des neutrons rapides et celle des neutrons dits thermiques ; en d’autres termes, il faudra disposer de neutrons épithermiques.

 

Considérant ces résultats, certains auteurs ont proposé dans le passé d’utiliser pour la transmutation des systèmes hybrides produisant des neutrons lents. Ceux-ci pourraient servir à la transmutation des produits de fission. La durée d’exposition aux flux de neutrons serait allongée pour que l’on parvienne aussi à transmuter les actinides mineurs.

 

En réalité, pour le CEA, cette solution est à proscrire. Un consensus existe dans la communauté scientifique pour recommander l’usage exclusif des sources de neutrons rapides. Il s’agit au premier chef de disposer des neutrons rapides pour transmuter rapidement et efficacement les noyaux lourds des actinides mineurs. Pour casser les produits de fission, il suffira de ralentir les neutrons rapides, ce que l’on sait faire sans difficulté.

 

Après la fermeture de Superphénix, Phénix est désormais le seul réacteur à neutrons rapides disponible pour soumettre à des irradiations les actinides mineurs et les produits de fission et examiner plus avant les caractéristiques des réactions de transmutation. D’où l’importance extrême de sa remontée en puissance autorisée récemment et prévue pour la fin du 1er semestre 98 et le caractère stratégique des programmes d’étude SPIN et CAPRA.

 

  • la remontée en puissance de Phénix

L’autorisation de création de Phénix, réacteur à neutrons rapides d’une puissance de 250 MWe, provient du décret du 31 décembre 1969. La première divergence du réacteur intervient en août 1973, le premier couplage au réseau EDF en décembre de la même année et la mise en service industriel en juillet 1974. Pendant la période 1974-1989, Phénix fonctionne 3 800 jours équivalents pleine puissance. L’installation démontre que le cycle du combustible peut être fermé par recyclage du plutonium à trois reprises. La surgénération de plutonium est démontrée, avec un facteur de 1,15. Certains assemblages combustibles ont pu atteindre 144 000 MWj/t, à comparer avec les 43 000 MWj/t moyens des réacteurs à eau pressurisée. Sur 170 000 crayons de combustibles utilisés, seules 15 ruptures de gaines sont enregistrées. La première phase d’exploitation de Phénix est donc un remarquable succès. Une deuxième phase plus difficile intervient à partir de 1990, phase qui devrait se clore cette année après que d’importants travaux de modernisation, de jouvence et d’amélioration de la sûreté ont été réalisés.

 

A compter de la mise en évidence en 1989 et en 1990 de baisses de puissance inexpliquées, l’exploitation de Phénix continue au ralenti. D’une part l’installation est maintenue en température, en raison de l’utilisation du sodium comme fluide caloporteur, et d’autre part la DSIN autorise pour des durées limitées la divergence du réacteur, la dernière autorisation étant intervenue en février1997.

 

Le CEA met à profit cette période pour se livrer à des travaux de jouvence de l’installation, notamment en ce qui concerne les circuits de refroidissement, les échangeurs et les collecteurs sodium des générateurs de vapeur. Les systèmes d’arrêt du réacteur sont également complétés. La tenue au séisme du bâtiment réacteur est renforcée pour être conforme aux normes antisismiques révisées depuis la construction de l’installation. Le bâtiment annexe comprenant les composants du système d’ultime secours est lui aussi renforcé. Le CEA met au point une méthode d’inspection in situ et à l’aveugle des soudures des structures de supportage du cœur.

 

L’ensemble de ces programmes de modernisation représente une dépense de 600 millions de F. Début 1998, 350 millions sont déjà investis.

 

Le 9 avril 1998, la DSIN autorise la remontée en puissance de Phénix pour un 50ème cycle d’exploitation qui devrait durer environ 6 mois. A l’issue de ce 50ème cycle, un arrêt d’un an sera observé. L’année 1999 sera consacrée à la révision décennale programmée, aux travaux d’inspection des structures du cœur et de renforcement sismique de la salle des machines et du bâtiment des générateurs de vapeur.

 

Le début de l’année 2000 verra le début du 51ème cycle d’exploitation. L’installation doit alors décrire 7 cycles d’exploitation qui se termineront fin 2004. La centrale Phénix devrait alors être arrêtée définitivement.

 

  • les conséquences de la fermeture de Superphénix sur les études relatives à la transmutation

 

Le réacteur à neutrons rapides Phénix est un réacteur de recherche dont l’utilisation est particulièrement souple. Il ne faut que 72 heures pour changer un assemblage combustible contre 7 jours pour un réacteur à eau pressurisée du parc EDF. Dans la conception initiale des programmes de recherche sur la transmutation, la commission Castaing avait donné une place prépondérante à Superphénix, Phénix ne venant que comme un outil d’études préliminaires. La séquence imaginée par le CEA était de faire le tri des expériences à conduire avec Phénix et de passer à une démonstration industrielle avec Superphénix.

 

La décision de fermeture de Superphénix a conduit le CEA à opérer dès juin 1997 le rapatriement de l’ensemble des expériences qui devaient être conduites à Creys-Malville.

 

Les conséquences de la fermeture de Superphénix sur le programme de recherches relatives à l’axe 1 sont les suivantes. Le CEA estime que la totalité des expériences du programme SPIN relatives à la transmutation pourront être conduites valablement avec Phénix. En revanche, le programme CAPRA (Consommation Accrue de Plutonium) ne pourra être réalisé dans sa totalité, sauf à changer tout le cœur de Phénix – ce qui n’est aucunement envisagé -.

 

  • les conditions techniques des expériences de transmutation

 

La première expérience de transmutation d’actinide mineur – en l’occurrence le neptunium 237 – réalisée par le CEA date de 1986. Il s’agissait de l’expérience Superfact qui a montré la faisabilité de la transmutation non seulement du neptunium mais aussi de l’américium. Une première expérience de transmutation de neptunium avait été prévue pour Superphénix. Elle devait être réalisée lorsque la décision d’arrêt est intervenue. Les références expérimentales sont donc au total peu nombreuses. Mais la faisabilité ne fait pas de doute.

 

Phénix est en effet une installation parfaitement adaptée à la recherche. Ses cycles courts permettent un renouvellement fréquent des expériences. Il dispose d’un système très efficace de détection et de localisation des ruptures de gaine. La manutention est rapide. Les dispositifs d’irradiation – les capsules – sont très pratiques. Par ailleurs, l’installation dispose d’une cellule chaude attenante qui permet d’effectuer sur place de nombreux examens après irradiation.

 

L’intérêt d’un réacteur à neutrons rapides comme Phénix est que son bilan neutronique est favorable. Il y a plus de neutrons mobilisables pour la transmutation que dans un réacteur à neutrons thermiques. Ainsi, le flux neutronique est dix fois plus élevé dans Phénix que dans les REP. Ceci se traduit par des temps de destruction proportionnellement plus réduits. Par ailleurs, l’énergie des neutrons produit dans Phénix peut être ajustée ou optimisée localement pour obtenir, isotope par isotope, la transmutation la plus efficace.

 

Pour conduire les expériences de transmutation, on utilise d’autre part deux techniques alternatives, selon les cas. La première est le recyclage " homogène " : le radioélément cible est dispersé au sein des pastilles combustibles. La deuxième technique est le recyclage " hétérogène " : le radioélément est incorporé à une matrice non fissile.

 

  • les expériences CAPRA utiles pour l’étude du recyclage du plutonium

 

Le programme CAPRA a pour objectif l’étude de la consommation massive de plutonium dans les réacteurs à neutrons rapides.

 

Le recyclage du plutonium dans les REP avec le Mox, entraîne une dégradation continue de la qualité isotopique du plutonium qui limite le nombre envisageable de recyclages successifs. Les réacteurs à neutrons rapides ne provoquent pas la même dégradation et peuvent toujours brûler du plutonium devenu impropre à la consommation en REP. Pour obtenir une consommation massive de plutonium, il faut optimiser le cœur des RNR et les assemblages combustibles qui le constituent. Ceci est l’objet du programme CAPRA.

 

Ce programme comprend deux volets principaux : l’irradiation de combustibles à forte teneur en plutonium (>30 %) et le test de combustibles très innovants ne contenant plus d’uranium (oxyde de plutonium sur matrice inerte).

 

  • les expériences SPIN pour la transmutation des actinides mineurs et des produits de fission à vie longue

 

Pour le neptunium 237, c’est un recyclage homogène qui sera utilisé. L’irradiation CAPRIN doit vérifier la compatibilité d’un tel recyclage avec les pastilles à haute teneur en plutonium optimisées pour CAPRA. L’irradiation METAPHIX vise à tester la transmutation du neptunium en mélange homogène au sein d’un combustible uranium-plutonium-zirconium. Dans ce programme d’irradiation, seront aussi présentes quelques cibles d’américium et de petites quantités de curium.

 

La transmutation hétérogène sera utilisée pour l’américium 241 et 243. Il faut donc au préalable sélectionner la matrice la mieux adaptée aux conditions d’irradiation, identifier le composé d’américium le plus compatible avec cette matrice, en optimiser la teneur et mettre au point les procédés d’incorporation. Ces tâches sont rendues complexes par la radioactivité de l’américium. Il faudra aussi qualifier sous irradiation les matériaux modérateurs.

 

Le programme d’expérience prévu pour les produits de fission à vie longue comprendra principalement l’évaluation du technétium 99. Des irradiations consacrées à l’iode 129 et au césium 135 sont à l’étude. Le CEA semble estimer, en tout état de cause, que la transmutation des produits de fission à vie longue n’est pas prioritaire. Même si les solubilités des produits de fission à vie longue sont supérieures à celles des actinides mineurs, les activités atteintes par de tels produits à l’exutoire sont très inférieures aux limites admissibles.

 

Au total, les expériences de transmutation avec Phénix seront riches d’enseignement, même si elles seront réalisées avec de quantités faibles. Mais il reste que la fermeture de Superphénix ne permettra pas la validation industrielle des résultats et compromet la réalisation à 100 % du programme CAPRA.

 

 

La figure suivante présente le planning des expériences liées à la transmutation que le CEA compte réaliser pour préparer les décisions de 2006. On remarquera que la plupart d’entre elles aura lieu avec Phénix mais que quelques autres sont programmées sur les réacteurs des partenaires étrangers du CEA.

 

 

Figure 17 : planning des expériences du CEA liées à la transmutation

 

 

 

 

 

2.3. le réacteur Jules Horowitz et les études sur la transmutation : un lien hypothétique

Les travaux de recherche et développement conduits par le CEA dans le domaine de l’électronucléaire ont comme objectifs généraux l’amélioration de la compétitivité et de la sûreté des réacteurs en fonctionnement, ainsi que la préparation de l’avenir à long terme du nucléaire, en incluant d’autres filières que celle des REP.

 

Pour l’accomplissement de tous ces travaux, le CEA a disposé de deux réacteurs d’irradiation, Siloe et Osiris. Depuis l’arrêt en décembre 1997 de Siloe, c’est à Osiris de fournir les capacités d’irradiation dont le CEA a besoin pour l’étude des matériaux et des combustibles utilisés dans les réacteurs nucléaires.

 

Or le réacteur Osiris aura 40 ans en 2005. Même si la durée de vie de cette installation pourrait, compte tenu de son bon état de fonctionnement et de sûreté, être prolongée, il convient de commencer les études d’un nouveau réacteur d’étude destiné à le remplacer. Ce futur réacteur d’irradiation porte le nom de " réacteur Jules Horowitz " (RJH). Sa construction est d’autant plus importante qu’à partir de 2010-2015, le réacteur Jules Horowitz devrait être l’un des seuls, sinon le seul réacteur d’essai de matériaux en Europe.

 

Avec l’annonce de l’abandon de Superphénix, et la perspective de l’arrêt fin 2004 de Phénix, un défi est lancé à l’équipe de projet chargée de la conception : comment réaliser un programme d’irradiations à la fois pour les réacteurs à eau pressurisée et pour les réacteurs à neutrons rapides, de façon à pouvoir continuer les recherches pour ces deux filières ?

 

Deux projets sont donc étudiés par le CEA. Le premier est un réacteur piscine à cœur ouvert, similaire à celui du réacteur Osiris mais dont les performances sont poussées au voisinage des limites théoriques. Le deuxième projet consiste à disposer dans 2 piscines séparées, une configuration à cœur ouvert pour les études relatives aux REP et une configuration à cœur pressurisé pour les besoins des études relatives aux RNR.

 

L’étude de faisabilité du réacteur RJH est en cours et devrait déboucher à la fin de l’année 1998. A cette date, il sera possible d’évaluer le coût de l’installation. L’ordre de grandeur, non validé par le CEA, serait de 2 à 3 milliards de F. Le planning actuel prévoit l’entrée en service en 2006 de ce réacteur, qui sera installé à Cadarache.

 

 

 

 

 

 

2.4. Le réacteur hybride, médaille d’or du marketing scientifique

 

Le réacteur hybride est une idée ancienne. L'idée d'utiliser les accélérateurs de particules comme le cyclotron pour faire des essais de matériaux ou produire du plutonium a été proposée dans les années 50 par E. Lawrence au laboratoire de Livermore. Ces idées ont ensuite été approfondies par les équipes de Chalk River au Canada et dans les années 70-80 aux Etats-Unis au laboratoire national de Brookhaven. Depuis 5 ans, ces techniques sont réévaluées à Los Alamos. Carlo Rubbia, ancien directeur général du CERN, prix Nobel de physique, les a remises sur le devant de la scène en proposant son amplificateur d’énergie à neutrons rapides de haute puissance fondé sur l’utilisation d’un accélérateur de protons et sur le cycle thorium-uranium en réacteur.

Une convergence d’idées et de stratégies de recherche se produit en France sur ce thème comme on l’a vu plus haut. Cette convergence est en train de donner naissance à un projet comportant une multiplicité d’objectifs. Le démonstrateur serait ainsi le dénominateur commun d’équipes – le CEA et le CNRS - jusqu’alors peu accoutumées à travailler ensemble sur la conception des réacteurs. Il est vrai que la réinscription de l’énergie nucléaire dans un cadre de recherche pluraliste vaut bien quelques investissements.

La démarche actuelle est certes prudente en prévoyant des études préalables à la définition du démonstrateur. Le projet lui-même est poli avec soin de manière à avoir une acceptabilité maximale auprès des organismes dispensateurs de crédits. Mais en tout état de cause, il semble important de soulever quelques questions clé, même si l’aspect lisse et consensuel que prend le thème des réacteurs hybrides, les décourage a priori.

 

 

  • de nombreux projets diversifiés et à objectifs multiples, proposés dans le monde entier

 

Le principe du réacteur hybride a été exposé en première partie du présent rapport. Rappelons que la partie nucléaire du réacteur est constituée d'assemblages fertiles et fissiles. A ce titre, il ressemble à un réacteur nucléaire dans la mesure où c'est la fission qui fournit de l'énergie. Mais ce réacteur est sous-critique : il ne peut entretenir la réaction en chaîne sans les neutrons provenant de la cible où se produit la spallation sous l’action des protons accélérés.

En réalité, le réacteur hybride est une sorte de " meccano ", dont les composants peuvent être divers et dont la finalité peut varier du tout au tout.

 

Les réacteurs hybrides peuvent être classés en fonction de leur structure. Alors les critères utilisables peuvent être les suivants :

 

- les réacteurs à cyclotron (accélérateur circulaire) avec une intensité du courant de protons limitée à 10-15 mA, ce qui limite la puissance possible du réacteur à 200 MWe ou les réacteurs mettant en jeu un accélérateur linéaire, avec une intensité du courant de protons et une puissance électrique pouvant atteindre respectivement 100-200 mA et 1200 MW

- le type de cible utilisée pour la spallation

- le spectre d'énergie neutronique : neutrons rapides, neutrons thermiques, neutrons de résonance

- la forme du combustible utilisé : solide, liquide, ou quasi-liquide (lits de boulets)

- la nature du réfrigérant et de l'éventuel modérateur

- le type de cycle du combustible

Mais ils peuvent aussi être classés par rapport à leur finalité. On distingue alors :

- les réacteurs électrogènes

- les réacteurs dédiés à la destruction du plutonium ou à l’incinération des actinides mineurs et des produits de fission.

Les deux tableaux suivants présentent les caractéristiques essentielles des projets les plus avancés. Il s’agit dans tous les cas de projets " papier ", dont aucun pays n’a entamé la réalisation. La raison en est que des études poussées et des expériences portant sur chaque pièce du " meccano " sont encore indispensables.

 

Tableau 33 : principaux concepts de réacteurs hybrides à neutrons thermiques

 

nom du projet

objectifs du projet

caractéristiques techniques

ATW

(Accelerator for Transmutation of Waste)

– Los Alamos, Etats-Unis

· production d’énergie

· destruction du plutonium militaire (variante ABC)

· fabrication de tritium (variante APT)

· intensité du courant de protons : 250 mA

· énergie du flux incident de protons : 1,6 GeV

· production d’énergie nette : 1000 MWe

· cible : tungsten et plomb

· modérateur : deutérium

· thorium et sels fondus LiF-BeF2

AMSB

(Accelerator Molten Salt Breeder)

- Jaeri (Japon)

· réacteur électrogène de démonstration

· intensité du courant de protons : 300 mA

· énergie du flux incident de protons :

1 GeV

· modérateur : sels fondus

· utilisation de l’uranium 233 dans le cycle du thorium ; sels fondus 7LiF-BeF2

ABB

- Institut radiotechnique de Moscou

· réacteur électrogène de démonstration

· intensité du courant de protons : 300-350 mA

· énergie du flux incident de protons : 1-1,5 GeV

· modérateur : deutérium et béryllium

· cible : Pb-Bi liquide

ADFFT

- Jülich, Allemagne

· réacteur de recherche

· intensité du courant de protons : 25 mA

· énergie du flux incident de protons : 1,6 GeV

· cible : plomb solide

· modérateur : graphite

· uranium et thorium en sels fondus

EA

(Energy Amplifier)

- C. Rubbia

· réacteur électrogène de démonstration

· utilisation d’un cyclotron

· intensité du courant de protons : 6,25 mA

· énergie du flux incident de protons : 0,8 GeV

· cibles : alliage Pb-Bi ou Bi métal

· modérateur : graphite, eau, béryllium ou deutérium

· cycle du thorium (fluorure de Li, Bi, Th)

· caloporteur : hélium, CO2 ou mélange des deux

 

Le réacteur hybride est par nature composé d’un grand nombre de composants et peut viser différents objectifs. Il n’est donc pas étonnant de constater, de par le monde, un foisonnement de " design " et d’objectifs.

 

 

Pour le compte de l’Office, M. Claude Birraux, député de Haute-Savoie, s’est penché, en particulier au cours de l’année 1996, sur le projet Rubbia. Une audition publique et contradictoire a été organisée le 21 novembre 1996, en présence du père du système. Ce projet se présentait alors dans sa version initiale de réacteur électrogène " plus sûr que les plus sûrs " des réacteurs actuels par suite de sa dimension sous-critique.

 

Il est de constater que ce projet a pu être conçu initialement dans le but d’atteindre un niveau de sûreté très supérieur aux actuels réacteurs à eau légère, puis devenir un réacteur électrogène de puissance et adopter enfin sa configuration actuelle d’incinérateur d’actinides mineurs, devenant ainsi une sorte de grand équipement adaptable à la configuration politique du terrain.

 

 

Tableau 34 : principaux projets de réacteurs hybrides à neutrons rapides

 

PHOENIX

- Brookhaven, Etats-Unis

· réacteur électrogène de démonstration

· intensité du courant de protons : 104 mA

· énergie du flux incident de protons : 1,6 GeV

· caloporteur : sodium

· cible : combustible

ATP

- Jaeri, Japon

· réacteur de recherche tourné vers la destruction des actinides mineurs

· 1ère version : cible de sel fondu (NaCl) à laquelle sont mélangés les actinides mineurs et le plutonium ; intensité du courant de protons : 25 mA : énergie du flux incident de protons : 1,5 GeV

· 2ème version : cible solide de tungsten et alliages de plutonium, d’actinides mineurs et de zirconium ; intensité du courant de protons : 39 mA ; énergie du flux incident de protons : 1,5 GeV

FSMH

(Fast Molten Salt Hybrid)

- CEA, France

· réacteur de démonstration pour la production d’électricité et la destruction d’actinides mineurs

· intensité du courant de protons : 270 mA

· énergie du flux incident de protons : 1,5 GeV

· 5 compartiments de combustibles de degré d’irradiation différents

· cœur : a) sel fondu avec 35,5 t de thorium et 1,1 t de plutonium b) PbCl3 avec 1,85 t de Tc 99 ou d’actinides

FEA

(Fast Neutron Operated High Power Energy Amplifier)

- C. Rubbia, CERN

· réacteur électrogène reconverti en incinérateur de déchets

· intensité du courant de protons : 12,5 – 20 mA

· énergie du flux incident de protons : 1 GeV

· cible et fluide caloporteur : plomb fondu

· coeur : cycle du thorium

· version à neutrons rapides du FEA à neutrons thermiques

 

  • le projet français de réacteur hybride

 

Selon un groupe d’experts, le Comité de suivi des recherches sur l’aval du cycle (COSRAC), rassemblé régulièrement par la direction générale de la recherche et de la technologie, les choses sont mûres en France pour réaliser un démonstrateur de réacteur hybride. De fait, le CNRS et le CEA se préparent à rendre public dans quelques semaines un document commun d’une quarantaine de pages lançant les opérations.

 

Ce document-programme présentera :

- la vision française actuelle d’un réacteur hybride spécialisé dans la transmutation des déchets radioactifs à haute activité

- le programme immédiat de recherche et développement indispensable pour préciser les options définitives et en particulier pour satisfaire les critères de sûreté

- l’an 2000 comme date de décision pour la construction d’un démonstrateur

- une mise en service partielle avant 2006 pour obtenir à cette date des résultats significatifs

- un fonctionnement régulier à partir de 2008.

  • un démonstrateur de réacteur hybride original

 

Pourquoi parler de démonstrateur et non pas de prototype de réacteur hybride ?

 

Parce que les technologies de ces réacteurs ne sont pas encore éprouvées, il ne peut être question pour le moment de choix industriel. De même, il est impossible, pour le moment, de concevoir une installation d’exploitation régulière satisfaisant des critères de sûreté exigeants, critères qu’au demeurant on ne saurait pas définir en l’état actuel des choses.

 

Le dessin général du démonstrateur de réacteur hybride est d’ores et déjà assez précis.

 

Comme tout réacteur hybride, le projet actuel comprend :

- un accélérateur de protons

- une cible où se produit le phénomène de spallation, c’est-à-dire l’émission de neutrons par des noyaux lourds percutés par les protons à haute énergie

- un conducteur du faisceau de neutrons

- un réacteur sous-critique fonctionnant à un taux de 0,95 à 0,97.

La première orientation fondamentale du projet est la modularité. Afin de sérier les problèmes, chaque maillon du réacteur devra être indépendant et distinct du restant de la machine. Par exemple, le projet Rubbia assigne un double rôle au plomb fondu : celui de cible et de fluide caloporteur. Cette option ne sera pas retenue.

 

S’agissant de l’accélérateur de protons, le projet Rubbia retenait un cyclotron délivrant un courant inférieur à 10 mA. C’est un accélérateur linéaire qui sera choisi, selon toute vraisemblance. Sa longueur sera de 100 m. Le courant maximum sera de 100 mA. Il apparaît en effet indispensable de pouvoir disposer de faisceaux de neutrons très énergétiques. Au fur et à mesure de la transmutation, le contenu en produits fissiles du réacteur variera fortement. Il sera en conséquence nécessaire de réguler la réactivité avec le flux de neutrons.

 

La partie réacteur du démonstrateur sera, quant à elle, un réacteur à l’uranium voire au thorium ou un mélange des deux. Sa puissance sera de 200 MWe, voisine de celle de Phénix (250 MWe). Son objectif ne sera pas la production d’électricité, bien que le bilan énergétique de l’installation complète soit largement positif : seuls 20 à 40 MWe seront consommés par le fonctionnement de l’accélérateur et du réacteur.

 

Pour le fluide caloporteur, deux solutions sont possibles. Le sodium présente des caractéristiques très favorables. L’expérience acquise avec Phénix et Superphénix est considérable. Mais son utilisation risque de ne pas être comprise de l’opinion publique. L’image du réacteur hybride pourrait en être altérée, alors qu’il s’agit d’une technologie nouvelle et d’une problématique nouvelle, centrée sur la destruction de déchets jugés éminemment dangereux par le public. Le plomb fondu et l’eutectique plomb-bismuth pourraient donc être préférés. La France n’a aucune expérience en la matière mais pourrait l’acquérir auprès de la Russie, ainsi que viennent de le faire les États-Unis.

 

Faudrait-il enfin utiliser le plomb comme cible ? La solution Rubbia est d’une grande élégance, en ce que le caloporteur est aussi la cible. Cette cible possède un rendement très élevé. Avec le plomb, pour un proton incident, on récupère 80 neutrons. Mais confondre les deux rôles compromet à la fois l’étude d’autres cibles et celle d’autres fluides. De toute façon, l’utilisation du plomb fondu comme caloporteur nécessiterait que l’on sache traiter les problèmes posés par les produits de fission du plomb.

 

Telles sont quelques-unes des décisions que le programme de recherche à lancer dans les prochaines semaines devra permettre de prendre avec la plus grande rationalité possible.

 

  • un investissement international

 

Un comité d’experts regroupant MM. d’Escatha, Dautray, Charpak et Détraz a été constitué par le ministère de la Recherche afin d’approfondir des coopérations internationales dans le domaine de l’énergie, et en particulier avec l’Italie ou l’Espagne pour la transmutation.

 

En réalité, l’Italie pourrait être un partenaire immédiatement disponible pour la France, au contraire de l’Espagne déjà engagée

 

Selon certaines informations, le gouvernement espagnol est en effet partie prenante dans une collaboration – exclusive en première analyse – avec M. Rubbia. Pour autant, pour M. Détraz, l’Espagne n’a pas la maîtrise scientifique et technologique suffisante pour construire une telle installation. Un revirement de l’Espagne par abandon du projet Rubbia serait possible si une initiative de grande ampleur était prise conjointement par la France et l’Italie.

 

  • quels intervenants pour la France ?

 

Ainsi qu’il l’a indiqué aux membres de l’Office le 4 février 1998, M. Claude Allègre, ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie souhaite donner une mission au CEA, qui, selon lui, n’en a plus. Une de ses missions pourrait être la recherche et le développement sur les énergies, à l’exception de celles relatives aux combustibles fossiles.

 

La débureaucratisation de la recherche que M. Allègre appelle de ses vœux et l’action concrète de la direction générale de la recherche et de la technologie autour du COSRAC laissent penser qu’une coopération institutionnalisée entre le CNRS et le CEA pourrait être mise sur pied pour le démonstrateur de réacteur hybride.

 

• l’attitude prudente des Etats-Unis oui à la spallation, non à un réacteur hybride

Les réacteurs hybrides ont des adeptes aux Etats-Unis comme en Europe. Le laboratoire national de Los Alamos et la société General Atomics ont essayé un temps de populariser le concept d’un réacteur sous-critique à haute température commandé par un accélérateur via une source de neutrons. Un projet assez détaillé avait même été élaboré en coopération avec le ministère russe de l’énergie nucléaire (Minatom).

 

Le Vice-président Al Gore a récemment annoncé le financement d’une nouvelle source de neutrons faisant appel au phénomène de spallation. Une somme de 157 millions de dollars a été inscrite au budget pour 1998-1999. Parmi les cibles utilisées, figurerait le tungsten.

 

Cette source de neutrons aura pour vocation la physique fondamentale et en aucun cas l’étude préliminaire d’un réacteur hybride. Le CEA a récemment proposé au DOE une collaboration pour réaliser un réacteur hybride. La réponse a été négative.

  • un projet dont la finalité et le coût doivent être précisés

 

 

La modularité de l’avant-projet de démonstrateur nourri par le CEA, le CNRS et EDF, au sein du groupement Gédéon, semble un choix adapté à la nouveauté de l’installation. Ainsi pourront être identifiées les questions à résoudre et peut-être même les coûts pourront-ils être estimés.

 

Mais la question de la taille du démonstrateur semble en elle-même capitale. En tout état de cause, on ne peut donc tenir la dimension d’une installation comme celle du démonstrateur projeté comme allant de soi. Il s’agit en effet de construire, au final, l’équivalent en puissance à peu de choses près du réacteur à neutrons rapides Phénix auquel viendra s’ajouter un accélérateur lourd.

 

Sur le plan financier, une coopération européenne voire internationale est actuellement recherchée et sera peut-être trouvée, facilitant le financement d’un équipement ambitieux. Mais l’accélérateur linéaire, à lui seul, représente un investissement dont la rentabilité doit être établie. Certains auteurs indiquent que le coût de l’accélérateur avec les lignes de transfert, les alimentations et les protections biologiques pourrait être trois fois plus élevé que celui du système sous-critique. Rappelons, pour fixer les idées, qu’il s’agit au bas mot de fournir un courant de proton d’intensité minimale de 10 à 15 mA. Lors de l’audition organisée par M. C. Birraux, dans le cadre de la préparation de son rapport de mars 1997, M. Rubbia affirmait : " l’accélérateur est un des éléments les plus innovants de l’amplificateur d’énergie ". On ne saurait le démentir : aucun accélérateur n’est actuellement capable de fournir un tel faisceau de protons. Le mieux que l’on sait faire est d’atteindre 1mA pour 590 MeV (cyclotron de l’institut Paul Scherrer de Zurich) ou 1 mA pour 800 MeV (accélérateur linéaire de Los Alamos).

 

S’agissant par ailleurs des coûts globaux d’investissement et de fonctionnement des réacteurs hybrides, les évaluations publiées ou annoncées varient – à projets comparables - dans des proportions si considérables que l’on ne peut que douter de leur vraisemblance.

 

L’amplificateur d’énergie proposé par C. Rubbia a fait l’objet d’études chiffrées par son promoteur et par l’IEPE de Grenoble. Selon le CERN, le coût d’investissement atteindrait 7417 F par kWh. Selon l’IEPE, ce coût serait de 8165 F par kWh, à comparer à l’estimation donnée par la même source pour un REP. Les coûts du kWh produit seraient du même ordre que pour les REP, aux alentours de 16 cts/kWh, toute chose égale par ailleurs. Le CEA écrit quant à lui : " on conçoit mal pourquoi on ferait l’effort (considérable) de développer ces systèmes très complexes, sans avoir clairement identifié un créneau où ils ont des chances de se révéler significativement supérieurs aux réacteurs critiques modernes, REP ou RNR. Aujourd’hui, il ne semble pas que ce créneau puisse être la production économique et sûre d’électricité ".

 

La version à neutrons rapides de l’amplificateur d’énergie de C. Rubbia, de plus petite taille et qui pourrait voir le jour dans les cinq ans, aurait un coût de 850 millions à 1,7 milliard de F.

 

En réalité, il s’agit avant toute chose de déterminer quel est l’objectif poursuivi. S’agit-il de concevoir un démonstrateur de réacteur hybride électrogène – auquel cas l’investissement risquerait d’être très élevé – ? Au contraire envisage-t-on d’élaborer une machine spécialisée dans la destruction des déchets – alors le coût, sans être négligeable, serait davantage compatible avec les budgets des organismes concernés – ?

 

L’option retenue par la France semble être celle du démonstrateur d’incinération de déchets. Mais, même dans ce cas, la question de sa puissance reste à régler. Si les spécialistes semblent s’accorder sur une puissance minimale d’une centaine de mégawatts, il convient de déterminer une puissance permettant de maîtriser les développements technologiques dont on sait qu’ils ne sont pas linéaires.

 

La réflexion sur la finalité et les dimensions du démonstrateur de réacteur hybride est d’autant plus capitale que de très nombreux problèmes, fort importants, restent à examiner.

 

  • des options techniques et une sûreté encore bien floues

 

Les études devraient permettre de choisir comme cycle du combustible soit le cycle de l’uranium, soit celui du thorium, soit les deux. A cet égard, les équipements existants et le retour d’expérience jouent en faveur du cycle de l’uranium. Mais il faudra inclure dans les évaluations financières, les investissements nécessaires pour mettre en œuvre un autre cycle.

 

La question du fluide caloporteur est d’autre part un point particulièrement épineux. Pour des motifs d’acceptabilité par l’opinion, la tentation est grande d’envoyer le sodium au purgatoire des solutions techniques jugées inadéquates pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la rationalité technique.

 

Or la France a accumulé un capital de connaissances et d’expérience considérable au cours de l’exploitation de Phénix et Superphénix. Alors que la corrosion des aciers par le plomb fondu est connue comme étant particulièrement violente, l’achat à la Russie des technologies correspondantes - plomb fondu ou eutectique plomb-bismuth - paraît davantage relever de la volonté de subventionner la recherche de ce pays que d’un choix raisonné.

 

Enfin, les questions de sûreté semblent être un point à ne pas négliger. La première question est celle de la fenêtre, c’est-à-dire le dispositif séparant l’accélérateur où règne le vide du milieu sous-critique à haute température, fenêtre par laquelle passent les neutrons injectés dans le réacteur.

 

Par ailleurs, une thèse récente indique que " la sous-criticité en mode de fonctionnement normal du réacteur au cours du temps ainsi que la sûreté du système à l’égard des hauts flux neutroniques mis en jeu méritent d’être revérifiées au niveau local dans le coeur. En effet les simulations fournies par le code de calcul Géant indiquent que le système ne se trouve pas prémuni contre les accidents de criticité ". Le même auteur ajoute plus loin : " les moyens de couplage neutronique rapide entre l’accélérateur et le réacteur (rétroaction) demeurent imprécis. Quel sera le temps de réaction entre la nécessité de rupture du faisceau et sa rupture effective ? Ainsi de nombreux projets (de réacteurs hybrides) ne mentionnent pas les moyens de gestion neutronique du coeur. Le risque d’accident dû à un fonctionnement mal maîtrisé de l’accélérateur n’est pas négligeable ".

 

  • une application opérationnelle après la décision ?

 

Enfin, le calendrier de réalisation et d’utilisation d’un éventuel démonstrateur reste nébuleux.

 

En fixant la date de 2006 pour une prise de décision sur la base de résultats aussi larges et complets que possible, la loi du 30 décembre 1991 introduit une incitation forte sur les milieux de la recherche. Mais celle-ci ne devrait pas se transformer en pression pouvant conduire à des initiatives et surtout des décisions hasardeuses.

 

A cet égard, comment ne pas relever le prudent réalisme du CEA : " même en retenant des options relativement conservatrices, il ne faut pas sous-estimer les délais de réalisation au plus tôt d’un démonstrateur européen. Il s’agira d’une installation nucléaire qui ne s’affranchira pas des procédures réglementaires de sûreté auxquelles doit se plier toute INB. Il est, en particulier, évident qu’il ne faut attendre aucun résultat de transmutation pour l’échéance posée par la loi de 91. Au mieux, le démonstrateur pourrait être en début de construction à cette date. Mais la loi de 91 demande d’ouvrir toutes les options et celle-ci est particulièrement prometteuse pour l’axe 1 (transmutation) ".

 

Vos Rapporteurs estiment qu’en tout état de cause, il s’agit non pas de freiner la réflexion mais de définir des objectifs précis en matière de réacteurs hybrides. Il ne peut s’agir de concevoir un outil miracle et tous usages, conçu sur le papier pour atteindre plusieurs objectifs, mais en réalité, tellement peu spécialisé qu’il n’en atteindrait aucun. La coopération internationale actuellement recherchée pour des raisons d’efficacité dans la recherche et pour en partager le financement, présente le risque de conduire à la confection d’un monstre technologique sans finalité claire, suite à des compromis entre écoles de pensée différentes et au fond des choses rivales.

 

Il incombe aux responsables techniques d’indiquer si oui ou non une maquette de réacteur hybride dédié à la transmutation est envisageable et si oui à quel coût. Il leur revient aussi de préciser le calendrier non seulement d’étude mais aussi de réalisation. Au préalable, devra bien entendu être exposée clairement l’utilité d’une telle installation, c’est-à-dire son rendement, dans le cadre d’une politique globale de l’aval du cycle.

 

 

2.5. la question des quantités transmutables et le problème du tout ou rien

 

L’intérêt d’un éventuel recours à la transmutation dépend essentiellement de trois paramètres physiques.

 

Le premier est la quantité d’actinides mineurs et de produits de fission à vie longue que l’on peut introduire dans un réacteur, quel qu’il soit. On peut à cet égard imaginer l’introduction des ces déchets dans un réacteur électrogène, les quantités relatives étant alors limitées par les contraintes de fonctionnement du réacteur. Au contraire, un réacteur dédié pourrait épuiser des quantités plus importantes.

 

Le deuxième paramètre est constitué par la vitesse de la réaction de transmutation. Une vitesse de transmutation lente devrait en effet être compensée par un nombre important d’installations, ce qui pourrait augmenter le coût de la transmutation et rendre son acceptabilité difficile.

 

Le troisième paramètre est celui des quantités résiduelles éventuelles, quantités qu’il serait impossible de parvenir à transmuter pour des raisons physiques. Le rendement de la réaction de transmutation est donc aussi un élément fondamental de l’option transmutation. Ceci conduit inévitablement à la question suivante : est-il utile de réduire de x % les quantités initiales si celles-ci peuvent être stockées sans danger ?

 

Des résultats incontestables sont évidemment indispensables sur toutes ces questions pour résoudre le dilemme transmutation- stockage. Il semble bien qu’un long chemin reste encore à faire sur cette voie de recherche.

 

 

Mais en réalité, pour ce faire, on distinguera deux cas. Le premier est celui des résultats expérimentaux, prolongés par des calculs, obtenus avec les réacteurs à neutrons rapides Phénix et Superphénix. Le deuxième est celui des prédictions tirées de la connaissance encore très floue des réacteurs hybrides.

 

 

  • les ordres de grandeur des quantités transmutables

 

 

Les ordres de grandeur des quantités des divers radioéléments à vie longue ont été donnés plus haut. Rappelons-en les grandes lignes, synthétisées dans le tableau suivant. Le plutonium formé dans les REP exploité dans les conditions actuelles représente environ 1 % du tonnage de combustible irradié. Les actinides mineurs représentent un peu moins de 0,07 % et les produits de fission à vie longue représentent 0,23 % En première approximation, on peut donc dire que les déchets radioactifs de haute activité et à vie longue représentent 0,3 % du combustible irradié.

 

 

Tableau 35 : Estimation des quantités de radioéléments présents dans le combustible irradié ,

 

quantités en kg

Uranium

Plutonium

Np+Am+Cm

Prod. fission (PF) total

dont PF à vie longue

pour 21,5t de combustible

20 400,0

209,0

16,0

745,0

50,0

pour 1t de combustible

948,8

9,7

0,7

34,7

2,3

 

 

Ceci étant, quelle est la production d’actinides avec le parc EDF actuel ? Le tableau suivant donne des indications détaillées sur les quantités produites.

 

Tableau 36 : production annuelle de plutonium non séparé et d’actinides mineurs par le parc EDF

 

radioélément

quantité annuelle produite

remarques

plutonium résiduel dans les déchets

30 kg/an

il s’agit du plutonium non séparé lors des opérations de retraitement

neptunium

800 kg/an

une partie du neptunium provient du plutonium 241, de l’américium 241 et du curium 245

américium :

   

américium 241

250 kg/an

il apparaît par décroissance b - du plutonium 241

américium 242m

0,7 kg/an

 

américium 243

150 kg/an

la source principale provient du plutonium 239 dans les déchets à partir d’un temps compris entre 10 000 et 100 000 ans

curium :

   

curium 242

  il donne du plutonium 239

curium 243

  il donne du plutonium 239 en quantité négligeable par rapport à l’américium

curium 244

  il donne du plutonium 239 en quantité 5 fois supérieure aux pertes de retraitement

curium 245

  il donne à terme du neptunium mais en quantités faibles

 

Le neptunium est donc le plus abondant des actinides mineurs avec 800 kg/an, dont une part non négligeable provient de la décroissance du plutonium 241, de l’américium 242 et du curium 245. L’américium total représente en première approximation 400 kg/an, en tenant compte des phénomènes de décroissance. Quant au curium, on peut le considérer comme disparaissant dans la durée au profit des deux autres actinides mineurs. Au total c’est donc plus d’une tonne d’actinides mineurs qui est formée dans le combustible.

 

En première approximation, on peut considérer que la quantité de produits de fission et d’activation à vie longue est de 2 tonnes.

 

Par ailleurs, l’on peut se poser la question légitime de savoir si le recours au Mox augmente ou non la quantité d’actinides mineurs. La réponse est positive, ainsi que l’indique le tableau ci-après.

 

Tableau 37 : production d’actinides mineurs (kg/Twhé) pour un réacteur chargé avec un combustible soit standard soit Mox

 

kg/Twhé

après la sortie du réacteur

après 3 ans

après 10 ans

UOx

Mox

UOx

Mox

UOx

Mox

neptunium

2

0,5

2

0,5

2

0,5

américium

0,5

6,6

1,1

10

2,4

17

curium

0,13

3,0

0,08

2,0

0,03

1,5

total

2,6

10

3,2

13

4,4

19

 

Mais l’évaluation des quantités produites ne saurait suffire pour avoir une appréciation complète de la réalité. En effet, la radioactivité contenue dans les actinides mineurs et les produits de fission et d’activation à vie longue est phénoménale : ces éléments sont au total responsables de plus de 95 % de la radioactivité totale, quelle soit a , b et g . Le tableau suivant présente la décomposition de la radioactivité totale des déchets issus du retraitement des combustibles, dans le cas de l’usine UP3-800 de La Hague.

 

Tableau 38 : la radioactivité des différents types de déchets et en particuliers des verres contenant les produits de fission et les actinides mineurs

 

contenu des déchets

Produits de

Fission et Actinides mineurs

Coques et embouts

Déchets technologiques B

Boues de précipitation

Déchets technologiques

A

Forme physique

verres

ciments

blocs de béton

 

blocs de béton

Catégorie

C

B

B

B

A

volumes prévus à la conception (en litre par tonne d’uranium après conditionnement mais sans surconteneur)

30

600

1700

30

3800

volumes en 1995 (même unité que ligne précédente)

130

600

150

0

?

volumes prévus en 2000 (même unité que ligne précédente)

130

150

150

0

?

pertes en uranium dans tous les déchets

0,12 %

pertes en plutonium dans tous les déchets

0,12 %

% activité a

99,5

0,4

0,1

% activité b , g

97,6

2,3

0,1

 

S’agissant de la toxicité, les données sont claires. Comme on l’a vu dans le chapitre précédent, la contribution du plutonium est prépondérante sur toute l’échelle de temps. Quant à celle des produits de fission à vie longue elle est très modeste, encore que leur solubilité et leur vitesse de migration soient considérablement plus élevées que celles des actinides.

Le tableau suivant indique la radiotoxicité d’un combustible REP stocké dans l’état, c’est-à-dire dans l’hypothèse du stockage direct. Les radiotoxicités des différentes composantes sont indiquées en Sv. Il comprend également les déchets générés dans le cycle du combustible : résidus miniers, uranium appauvri issu des opérations d’enrichissement, uranium issu des opérations de retraitement. Les chiffres sont données par Twhé, c’est-à-dire qu’ils sont ramenés à la quantité d’électricité produite. Pour avoir une évaluation globale, il suffit de se souvenir que la production annuelle d’électricité est d’environ 400 TWh.

 

Rappelons à titre indicatif et pour fixer les ordres de grandeur que les limites de dose annuelle sont actuellement de 50 mSv/an pour les travailleurs du nucléaire et de 5mSv/ an pour le public. La CIPR dans sa recommandation 60 souhaite qu’à partir de mai 2000, ces limites passent à 20 mSv/an en moyenne sur 5 ans pour les travailleurs du nucléaire et à 1 mSv/an pour le public.

 

Ce tableau, au demeurant fondamental, pose toute la question des priorités dans la gestion des déchets radioactifs.

 

Tableau 39 : composantes de la source de radiotoxicité potentielle et évolution avec le temps (pour un combustible REP UOx et un taux de combustion de 33 000 MWj/t) d’après

 

Sv/Twhé

1 000 ans

10 000 ans

100 000 ans

1 000 000 ans

résidus miniers

720 000

660 000

260 000

65

uranium appauvri

24 000

35 000

140 000

570 000

uranium de retraitement

21 000

48 000

220 000

140 000

plutonium, neptunium, américium, curium et produits de fission ensemble

310 000 000

77 000 000

4 000 000

380 000

contribution en % de chacun des éléments à la toxicité de la ligne précédente :        

· plutonium

90 %

97 %

93,6 %

69,4 %

· neptunium

-

-

1,4 %

18,1 %

· américium

9,2 %

2,5 %

2,9 %

9,4 %

· curium

0,3 %

0,4 %

-

-

· produits de fission à vie longue

0,0006 %

0,0024 %

0,034 %

0,13 %

Plusieurs remarques importantes doivent être faites sur la base de ce tableau.

 

La première qui porte sur le plutonium, a déjà été faite dans ce rapport mais mérite d’être rappelée. Le plutonium contribuant pour plus de 90 % à la radiotoxicité totale du combustible irradié, pendant une période de 100 000 ans, il est absurde de se préoccuper de la transmutation des actinides mineurs si le plutonium lui-même n’est pas éliminé dans du Mox ou dans des RNR.

 

La deuxième remarque est que les produits de fission contribuent potentiellement très peu à la radiotoxicité, à condition d’être emprisonnés suffisamment efficacement pour ne pas être emporté par les eaux souterraines.

 

La troisième remarque est qu’au-delà d’un million d’années, la radiotoxicité de l’uranium appauvri issu de l’enrichissement possède un impact supérieur à celui des actinides et des produits de fission à vie longue. Si l’on veut, par une ambition extrême, se préoccuper de cette échéance du million d’années, alors le cercle des recherches doit s’étendre à d’autres domaines non encore couverts.

 

La quatrième remarque est que l’ordre de grandeur de la toxicité des produits de fission à vie longue est proche de celui des résidus miniers. Il y a donc lieu de s’interroger sur l’ascension de ces derniers dans le palmarès des priorités de recherche.

 

  • deux questions difficiles : la vitesse et le rendement de la transmutation

 

7 ans après que la loi du 30 décembre 1991 a clairement indiqué l’importance des études sur la transmutation des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue, force est de constater la rareté des données chiffrées sur les deux paramètres clés de l’intérêt de cette solution que sont la vitesse et le rendement probables de la transmutation. Or il s’agit bien évidemment de données fondamentales, puisqu’elles conditionnent en particulier le nombre d’installations à prévoir pour effectuer cette opération. L’interrogation de base est la suivante : combien d’incinérateurs faudra-t-il installer pour traiter les déchets de l’ensemble du parc ?

 

  • une dizaine d’années pour transmuter ?

 

Le tableau suivant donne les résultats de calculs neutroniques effectués à la fin des années 70 pour éclairer la faisabilité de la transmutation en recourant aux réacteurs à eau pressurisés et aux réacteurs à neutrons rapides. Les résultats de ces calculs sont rien moins que décevants.

Tableau 40 : durée en années de transmutation d’actinides mineurs en réacteurs REP ou RNR, ,

 

filière/années

Np 237

Am 241

Am 243

Cm 243

Cm 244

REP :

         

90 % détruits

6,4

1,7

4,2

2,6

14,2

90 % détruits par fissions cumulées

15

15

30

9

27

RNR :

         

90 % détruits

11

9

11

6

19

90 % détruits par fissions cumulées

24

30

30

15

27

 

On atteint en effet dans les réacteurs REP et RNR des rendements de quelques pour cents à quelques dizaines de pour cents. La durée de séjour doit atteindre une dizaine d’années pour atteindre un rendement de 90 % sur les actinides initiaux et les corps lourds formés à partir d’eux.

 

  • de 7 à 12 RNR pour réduire les flux d’actinides mineurs

 

A la demande de vos Rapporteurs, le CEA a procédé à des évaluations des réductions possibles des flux d’actinides mineurs suivant la composition du parc nucléaire. La référence des calculs correspond à une situation proche de l’actuelle, c’est-à-dire un parc d’une puissance de 60 MWe, produisant annuellement 400 TWh mais fonctionnant entièrement avec le combustible standard à l’oxyde d’uranium.

 

Par rapport à ce parc, le CEA construit dans ce raisonnement des parcs fictifs comprenant une part de RNR allant de 14 % à 20 % du nombre total de réacteurs.

 

Tableau 41 : ordres de grandeur des réductions des flux d’actinides mineurs dans des parcs mixtes REP UOx – REP Mox – RNR

 

puissance installée : 60 GW

production annuelle : 400 TWh

Parc 1

Parc 2

type de réacteur

REP UOx

REP Mox

RNR

REP UOx

REP Mox

RNR

composition du parc

100 %

0

0

70 %

16 %

14 %

taux de combustion en GWj/t

55

55

140

mode de gestion

cycle ouvert (stockage direct)

multirecyclage du Pu : 2 passages en REP, multirecyclage en RNR

 

Pu

AM

total

Pu

AM

total

flux annuel de déchets (tonnes)

11,6

1,5

13,1

0,03

3,2

3,23

facteur de réduction de masse des déchets

réf.

4

 

Tableau 42 : ordres de grandeur des réductions des flux d’actinides mineurs dans des parcs mixtes REP UOx – REP Mox – RNR (suite et fin)

 

puissance installée : 60 GW

production annuelle : 400 TWh

Parc 3-a

Parc 3-b

type de réacteur

REP UOx

REP Mox

RNR

REP UOx

REP Mox

RNR

composition du parc

70 %

10 %

20 %

70 %

10 %

20 %

taux de combustion en GWj/t

55

140

55

140

mode de gestion global du combustible

multirecyclage du plutonium et incinération des actinides mineurs

multirecyclage du plutonium et incinération des actinides mineurs

mode de traitement des actinides

recyclage homogène du Np mélangé au Pu ; multirecyclage des cibles d’Am et de Cm

recyclage homogène du Np mélangé au Pu ; monorecyclage des cibles d’Am et de Cm (retrait des cibles dès que taux de fission égal à 90 %)

 

Pu

AM

total

Pu

AM

total

flux annuel de déchets (tonnes)

0,03

0,08

0,11

0,03

0,22

0,25

facteur de réduction de masse des déchets

120

50

 

On constate qu’il est possible de réduire d’un facteur 4 le flux annuel de plutonium et d’actinides mineurs, avec 14 % de RNR et 16 % de REP moxés (parc 2). En langage " décodé ", cela veut dire que l’on a une proportion d’un RNR pour 5 REP, soit 7 à 8 RNR au total, en prenant comme hypothèse que les réacteurs à neutrons thermiques ou à neutrons rapides sont d’une puissance de 1 000 MWe.

 

Avec un parc encore plus important de RNR, soit avec un RNR pour 3 à 4 REP, et avec un mode de traitement particulier des actinides, il est possible d’atteindre un facteur de réduction des flux de plutonium et d’actinides mineurs allant de 50 à 120.

 

 

Deux remarques sont à faire sur ces premiers résultats, qui, comme les précédents, sont décevants pour l’avenir de la transmutation.

 

D’une part, même dans l’hypothèse maximaliste (parc 3-a du tableau précédent, c’est-à-dire 12 RNR sur 60 réacteurs), il reste une quantité incompressible d’actinides mineurs, soit 80 kg/an : le rendement de la réaction n’est pas égal à 100 %.

 

D’autre part, même pour atteindre une réduction d’un facteur 4, il est nécessaire de mettre en place un parc d’une configuration très sensiblement différent de celui qu’a la France, surtout après la fermeture de Superphénix. En effet, pour obtenir cette réduction d’un facteur 4, on doit recourir à 7 à 8 RNR pour récupérer au final deux fois plus d’actinides que par rapport à la situation de référence. Situation paradoxale, qui permet de douter de l’intérêt de la démarche.

 

Ces premières approches nécessitent bien entendu d’être confirmées. Si elles l’étaient, sans doute entendrait-on sonner le glas pour la transmutation par les RNR. Le CEA entend continuer sa réflexion, en essayant notamment d’évaluer l’apport des réacteurs hybrides.

 

  • le miracle attendu des réacteurs " papier "

 

Les projets de réacteurs hybrides sont nombreux à prévoir pour la plupart l’incinération d’actinides. Le tableau suivant présente les consommations d’actinides mineurs affichées par les concepteurs.

 

Tableau 43 : estimation des quantités d’actinides mineurs transmutables en réacteur hybride

 

nom du projet

type de réacteur hybride

quantités de déchets transmutés par an

ATW

(Accelerator for Transmutation of Waste)

– Los Alamos, Etats-Unis

système hybride thermique

· actinides : 675 kg/an

· produits de fission : 75 kg/an

ADFFT

- Jülich, Allemagne

système hybride thermique

· actinides : 550 kg/an

ATP

- Jaeri, Japon

système hybride rapide

· actinides mineurs : 250 kg/an

FSMH

(Fast Molten Salt Hybrid)

- CEA, France

système hybride rapide

· actinides mineurs et technétium :

FEA

(Fast Neutron Operated High Power Energy Amplifier)

- C. Rubbia, CERN

système hybride rapide

· plutonium

 

Les chiffres annoncés paraissent avoir une vocation autant promotionnelle que scientifique. En tout cas, aucune expérimentation n’a pour le moment démontré leur vraisemblance. Mais au-delà de ces considérations, certains experts estiment que les rendements ne pourront dépasser une certaine limite. Dans certains cas, l’inventaire d’actinides en réacteur, c’est-à-dire le stock de ces produits ou de plutonium, pourrait augmenter en cours d’exploitation.

 

Une autre opinion a été récemment donnée par M. Claude Détraz, directeur de l’IN2P3, à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur Superphénix et la filière des neutrons rapide. Pour lui, un parc important de réacteurs hybrides serait nécessaire pour transmuter les actinides mineurs et les produits de fission issus des réacteurs à eau pressurisée. L’ordre de grandeur de la quantité d’actinides mineurs transmutables serait d’une tonne par an avec un réacteur hybride dédié à l’incinération. Par conséquent, l’ordre de grandeur du parc de réacteurs hybrides qu’il serait nécessaire de construire, serait de 10 à 15 réacteurs hybrides, soit un réacteur hybride pour 4 réacteurs à eau pressurisée REP.

 

Pour autant, d’autres voies sont aussi explorées, afin de parvenir à des rendements acceptables. Pour Jean-Paul Schapira, il est clair que " la présence d’uranium dans les combustibles conduit non pas à une destruction poussée des actinides mais à leur stabilisation. La destruction poussée des actinides et l’amélioration des taux de transmutation requièrent la suppression de l’uranium et l’augmentation du produit de la section efficace par le flux ainsi que l’augmentation du rapport fission/capture ".

 

Deux types d’installations seraient donc envisageables pour détruire d’une manière poussée les actinides : d’une part des réacteurs où le combustible serait constitué uniquement des actinides à détruire et donc sans uranium et d’autre part des réacteurs à haut flux.

 

Les incinérateurs d’actinides présentent pour le moment des performances médiocres : 18 % d’actinides détruits par an environ. Les réacteurs à haut flux quant à eux utilisent des combustibles à uranium hautement enrichi mais produisent malgré tout du plutonium et des actinides mineurs, même si c’est en quantité réduite par rapport aux réacteurs classiques.

 

  • la question du tout ou rien

 

S’il se confirmait que la transmutation ne peut être réalisée à 100 %, la question se poserait de l’opportunité de mettre en œuvre des processus coûteux, longs et eux-mêmes producteurs de déchets additionnels, le tout pour atteindre une réduction de volumes, dont on sait par ailleurs qu’ils sont en réduction constante grâce aux progrès faits en matière de concentration des matières radioactives et de compactage des conditionnements.

 

Un critère de décision, le moment venu, sera, sans conteste, le gain attendu de la séparation-transmutation, par rapport à la situation de départ.

 

On a vu précédemment que la réduction de volume des déchets concerne principalement les déchets B avec le compactage des coques et embouts et l’utilisation du béton pour les déchets technologiques. Seule une stabilisation des volumes est probable à technologie constante avec les verres contenant les déchets C (actinides mineurs et produits de fission). Toutefois, il n’est pas exclu qu’à l’avenir d’autres techniques d’immobilisation fassent leur apparition. De toute façon, les volumes en cause sont faibles pour les déchets de haute activité à vie longue : 5 000 m3 en 2020.

 

L’intérêt de la transmutation est de diminuer la quantité de déchets de ce type. Mais il faudra, à supposer que les techniques de séparation et de transmutation soient opérationnelles, rapporter leur coût au gain obtenu en termes de réduction de volume et du nombre de gigabéquerels. Il n’est pas sûr alors que la solution du stockage définitif ne l’emporte.

 

 

 

 

3. Le choix de l’entreposage ou du stockage et la problématique de la réversibilité

 

 

Alors que l’opinion dominante des acteurs de la filière nucléaire était à la fin des années 80 de considérer le stockage définitif en profondeur comme la seule solution rationnelle pour gérer les déchets radioactifs à haute activité et à vie longue, la loi du 30 décembre 1991 a diversifié les approches en introduisant non seulement l’idée de la séparation-transmutation étudiée précédemment mais aussi celle de la réversibilité du stockage en profondeur et enfin celle du conditionnement et de l’entreposage de longue durée en surface.

L’attention tant du Gouvernement que des cercles suivant de près la gestion des déchets nucléaires se porte depuis peu mais avec un intérêt croissant sur le stockage ou l’entreposage en sub-surface et sur la notion connexe de réversibilité.

 

En réalité, les efforts de réflexion sur cet axe de recherche, qui avaient pris un retard dénoncé dès 1996 par l’Office, ne font que débuter. Certaines difficultés de fond commencent à apparaître. Vos Rapporteurs ne prétendent pas dans ce chapitre clore la recherche sur le sujet mais essayer de mettre en évidence les arbitrages qui seront vraisemblablement nécessaires et introduire une réflexion sur les critères de choix à mettre au point dans cette perspective.

 

La question de la sûreté du stockage en couche profonde est examinée dans un premier temps, notamment à la lumière des résultats des modèles de dissolution élaborés par le CEA et à l’aune des études réalisées sur les réacteurs nucléaires naturels que l’on peut trouver au Gabon.

 

Ces éléments sont ensuite comparés avec les contraintes générées par la présence des dépôts de déchets en surface ou en sub-surface.

 

La notion de réversibilité est enfin abordée notamment au regard de sa durée de mise en œuvre et de son coût.

 

Introduction

Pour dégager la problématique de l’entreposage et du stockage des déchets, il est indispensable de rappeler la classification française des déchets radioactifs et leur mode de conditionnement. Un récapitulatif des politiques de gestion des déchets à l’étranger est également présenté ci-après.

 

  • la classification française des déchets radioactifs

 

Pour resituer le problème des déchets à haute activité et à vie longue dans un cadre d’ensemble, on trouvera dans le tableau suivant la classification française des déchets, ainsi que les volumes générés annuellement et les stocks.

 

Tableau 44 : classification française des déchets radioactifs et estimations des volumes

 

type de déchet

nature, origine et conditionnement

activité

durée

de vie

quantités/an

stocks

Déchets TFA (très faible act.)

· gravats et ferrailles, démantèlement (prochainement)

· pas de conditionnement spécifique

1 - 100 Bq/g  

4 000 m3/an

· 9 millions m3 en 2020 – pas de décision pour site

Déchets FA (faible activité)

· déchets radifères issus du traitement de l’uranium au sortir de la mine

100 –

100 000 Bq/g

vie longue (30-10 000 ans)

2 800 m3/an

· pas d’estimation précise – pas de décision pour site

Déchets A

· résines, filtres, gants, etc. : exploitation des centrales, des usines de retraitement, des labos médicaux ou industriels, etc.

· blocs de béton

1 000 - X00 000 Bq/g vie courte (<30 ans)

· 20 000 m3/an

dont 4 000 m3 issu du retraitement ;

· 90 % des déchets produits annuellement

· 520 000 m3 sur le centre de stockage de surface de la Manche

· actuellement 50 000 m3 à Soulaines (capacité max : 1 million m3 ; saturé en 2045)

Déchets B

· déchets produits lors du retraitement et de la fabrication du plutonium

· coques et embouts provenant des gaines de combustible

· boues issues du retraitement

· matrice de béton, de bitume ou de verre enchâssée dans du béton

· résidus métalliques compressés dans containers d’inox

X00 000 Bq/g vie longue

3 000 m3/an

· selon le Gvt : 57 000 m3 en 2020

Déchets C

· déchets du retraitement : PFVL et AM 

· par extension combustible irradié non retraité,

milliards de Bq/g vie courte

ou longue

· verres : 200 m3/an

· combustible irradié non retraité : 350 t/an

· verres : selon le Gvt : 5 000 m3 en 2020

 

 

Ainsi que cela a été vu plus haut, les déchets au centre des attentions, sont ceux qui présentent la double caractéristique d’être fortement radioactifs et d’avoir une période longue. Les déchets C sont les " résidus du retraitement ". Par extension voire abus de langage, si l’on considère qu’ils ne seront " jamais " retraités, les combustibles non retraités peuvent être considérés comme des déchets C, de par leur radioactivité.

 

  • le conditionnement des déchets

 

Le tableau précédent indique en particulier le type de conditionnement utilisé pour chaque catégorie de déchets. On se contentera ici de mettre l’accent sur les points critiques et les évolutions en cours.

 

S’agissant du conditionnement des déchets B, une évolution se produit à l’heure actuelle, avec pour objectif d’améliorer à la fois la sûreté et la compacité des colis.

 

Le conditionnement d’origine pour les déchets B était le béton, avec comme inconvénient des volumes relativement importants par unité de volume de déchet. Le passage à un enrobage par du bitume a permis de réduire les volumes résultants et d’améliorer la résistance à la lixiviation, le bitume étant à la fois étanche et très insoluble dans l’eau. Des difficultés existent pour le bitumage de produits organiques car la température élevée des bitumes lors du coulage peut échauffer et vaporiser d’éventuels produits organiques. Un incident a d’ailleurs eu lieu en 1997 à l’usine de Tokai Mura au Japon. Un feu s’est déclenché en phase chaude de l’opération d’enrobage, avec dégagement d’aérosols et explosion résultante.

 

Cogema a désormais pour objectif d’abandonner le bitume des déchets B et de recourir au même milieu d’enrobage que pour les déchets C, c’est-à-dire le verre ou la céramique. Ceci vaudrait aussi bien pour les déchets technologiques que pour les boues de retraitement. Les coques et embouts seraient, eux, compactés sous forme de galettes non enrobées et placées dans des containers d’inox de mêmes dimensions que les colis de verres.

 

S’agissant des déchets C, la pratique actuelle est de recourir au mélange des solutions concentrées à du verre en fusion, qui est ensuite refroidi pour donner un cylindre de verre. La vitrification est un procédé qualifié industriellement qui permet d’atteindre des durabilités très importantes – de 2 000 ans à 100 000 ans (voir ci-dessous) -. Mais d’autres matériaux sont actuellement à l’étude, notamment les céramiques.

 

  • les politiques nationales de gestion des déchets radioactifs

 

Nombreux sont les pays de l’OCDE à avoir opté d’ores et déjà et résolument pour une politique de gestion des déchets.

 

Ainsi l’Allemagne a pris le parti du stockage en profondeur pour l’ensemble de ses déchets radioactifs. Les anciennes mines de sel ou de fer ont été utilisées pour réaliser des études de comportement. Il est prévu, sauf enseignement négatif de celles-ci, de passer ensuite à la phase de stockage. Recourant à une politique mixte de retraitement et de stockage direct, l’Allemagne n’a toutefois pas encore réglé concrètement le problème des combustibles irradiés et celui des déchets hautement radioactifs issus du retraitement. La Belgique a aussi opté pour le stockage souterrain, en sub-surface pour les déchets A et B et à grande profondeur pour les déchets C.

 

S’agissant des laboratoires d’étude du stockage en profondeur, la plupart des pays en possèdent. La Suisse se signale par son souci d’explorer en détail cette option, avec ses deux laboratoires de Grimsel en milieu granitique et du Mont Terri en milieu argileux.

 

 

Tableau 45 : gestion des déchets dans certains pays de l’OCDE ,

 

 

pays/stratégie

Déchets de faible et moy. activité à vie courte

Déchets de haute activité à vie longue

Combustible irradié

Laboratoire souterrain

Allemagne

• 21 réacteurs

• retraitement et stockage direct

• entreposage en vue du stockage à grande profondeur de tous les déchets

• stockage direct des combustibles usés autorisé depuis 1994

• stockage à Morsleben depuis 1981 dans ancienne mine de sel (anciennement en RDA)

• stockage en cours d’autorisation à Konrad dans ancienne mine de fer ; -800 – 1000 m ; date de démarrage : 2001

• entreposage à sec des déchets provenant du retraitement à Gorleben, Ahaus et Greifswald

• entreposage en piscine sur les centrales

• centres d’entreposage de Gorleben définitivement autorisé début 1998 (à sec), Ahaus en fonctionnement (à sec) et Greifswald (piscine)

• stockage profond prévu

• Konrad : mine de fer ; études depuis 1976

• Asse : -1000m ; sel ; études depuis 1978

• Gorleben : -900m ; sel sous couverture de gypse ; études depuis 1986

• Morsleben : - 525m ; sel ; études dans les années 60

Belgique

• 7 réacteurs

• retraitement du combustible

• entreposage sur les sites des centrales et entrepôt centralisé en surface à Mol-Dessel

• projet de stockage en sub-surface

• entreposage à Mol-Dessel

• stockage en profondeur dans l’argile prévu

• entreposage sur le site des centrales, avant retraitement

• Mol-Dessel : -230m ; argile de Boom ; depuis 1983

Canada

• 22 réacteurs Candu

• pas de retraitement

• importance des résidus des mines d’uranium

• entreposage à Bruce, Chalk River et Whiteshell

 

• entreposage à sec sur le site des centrales

• projet de stockage à –500/-1 000 m dans le bouclier canadien

• Underground Research Laboratory au Lac du Bonnet (Manitoba) : -240/-420 m ; granite ; depuis 1984

Etats-Unis

• 109 réacteurs

• retraitement abandonné officiellement en 1992

• typologie particulière : a) déchets de faible activité ; b) transuraniens (matières contaminées par émetteur a

• déchets de faible activité

• entreposage sur le site

• transuraniens : a) entreposage de différents types

b) stockage géologique dans couche de sel : WIPP (Waste Isolation Pilot Plant) : - 655m Nouveau Mexique ; entrée en service en 1998 ; caissons de béton ; reprise possible

• entreposage du combustible irradié des réacteurs commerciaux en piscine et installation MRS en projet (centre de stockage réversible : piscines, casemates modulaires, conteneurs scellés placés dans modules en béton

• Yucca Mountain (Nevada) : ± 300 m ; tuf ; depuis 1983

 

 

Tableau 46 : gestion des déchets dans certains pays de l’OCDE , (suite)

 

 

pays/stratégie

Déchets de faible et moyenne activité à vie courte

Déchets de haute activité à vie longue

Combustible irradié

Laboratoire souterrain

Etats-Unis (suite)

c) déchets de haute activité stockés sous forme liquide d) combustibles irradiés

   

• entreposage des combustibles irradiés et des déchets de haute activité du DOE sous forme liquide à Hanford, en Idaho et à Savannah River

• stockage envisagé à Yucca Mountain (Nevada) : galeries accessibles par rampes

 
Finlande

• 4 réacteurs : 2 BWR à Olkiluoto ; 2 VVER à Loviisa

• abandon du renvoi du combustible en Russie en 1996

• entreposage sur le site des centrales (Loviisa et Olkiluoto) ;

• stockage en sub-surface sur les sites des centrales : a) Olkiluoto (-60m sous le niveau de la mer ; silos remblayés ; entrée en service en 1992) ;

b) Loviisa (-110m ; construction achevée en 1997)

 

• entreposage sur le site des centrales

• étude d’un stockage irréversible à –600 m dans roches cristallines ; début de construction prévu pour 2010

• études de caractérisation seulement pour 3 sites

• études dans les centres de stockage en sub-surface d’Olkiluoto et de Loviisa

Japon

– 50 réacteurs

– retraitement du combustible

• stockage des déchets à faible activité en sub-surface à Rokkasho-Mura ; installation mise en service en 1992

• entreposage des déchets liquides de haute activité à Tokai

• entreposage en piscine sur le site des centrales et à Rokkasho-Mura pour le combustible en attente de retraitement

• projet de stockage en couche profonde des déchets C vitrifiés

• projet de construction de labo souterrain à Horonobe

 

 

Tableau 47 : gestion des déchets dans les pays de l’OCDE , (suite et fin)

 

pays/stratégie

Déchets de faible et moyenne activité à vie courte

Déchets de haute activité à vie longue

Combustible irradié

Laboratoire souterrain

Royaume-Uni

• 2 usines de retraitement à Sellafield (Cumbria) : l’une pour le combustible Magnox et l’autre (Thorp), pour le comb. AGR et REP

• déchets de moyenne activité :

a) entreposage sur le site

b) stockage envisagé à grande profondeur près de Sellafield (-650m)

     
Suède

• 12 réacteurs

• abandon du retraitement après recyclage de 140 t

• entreposage sur les sites

• stockage irréversible SFR en sub-surface de Forsmark (sous la Baltique et sous 60 m de soubassement rocheux) : silos et cavités remblayés

 

• entreposage en piscine sur le site des centrales (1-5 ans) et sur le centre de sub-surface CLAB (près Okarshamn ; -30m);

• projet de stockage souterrain irréversible à –500m (assemblages combustibles placés dans cylindres d’inox eux-mêmes logés dans containers en cuivre installés dans cavités remplies de bentonite)

• construction du laboratoire souterrain d’Äspö achevée en 1994 : 3,6 km de tunnel menant à –460m dans le granite ;

• études sur le granite depuis 1977 dans une ancienne mine de fer à Stripa

Suisse

• 5 réacteurs

• retraitement partiel (2/3) à l’étranger

• à terme stockage géologique

• centre commun d’entreposage à sec et en surface en construction à Würenlingen (centre Zwilag) ;

• à terme stockage géologique à -1200m dans socle cristallin ou à –500-800 m dans l’argile ; dépôt sous montagne accessible par tunnel

• entreposage à sec et en surface pendant 40 ans à Würenlingen ;

• aucune décision définitive pour le combustible non retraité

• étude d’un stockage en profondeur accessible par puits

• Grimsel : granite ; 1 km à l’intérieur d’une montagne ; études depuis 1984

• Mont Terri : argile, Jura suisse

3.1. la sûreté maximale est-elle apportée par le stockage en couche profonde ?

 

Le problème posé par les déchets radioactifs à haute activité et à vie longue est simple à formuler mais évidemment complexe à résoudre. Certains radioéléments présents dans les déchets, émetteurs a radiotoxiques ayant une période de 7 380 années comme l’américium 243 ou de 2 millions d’années comme le neptunium 237, comment concevoir un stockage assurant leur immobilisation sur une telle durée dont l’échelle dépasse en réalité notre entendement ?

 

Le principe de sûreté du stockage profond est l’interposition, entre le colis de déchets et les populations environnantes, d’une barrière dont la dimension est telle que la migration des radioéléments est très peu probable vers la surface.

 

Le sens commun veut que plus le stockage est profond et plus grande est la sûreté. Avec un dispositif de stockage en couche géologique profonde, des durées extrêmement longues, de plusieurs centaines de milliers d’années, peuvent être envisagées, en termes de stabilité de la présence des radioéléments en profondeur.

 

Ceci est vrai à condition qu’aucun lien, artificiel ou naturel n’existe ou n’apparaisse entre les cavités et la surface. Les eaux souterraines peuvent éventuellement parvenir sur les longues durées étudiées à dissoudre les radioéléments. La circulation naturelle ou provoquée par l’Homme peut alors assurer la diffusion ou la remontée de ces éléments toxiques. De même, des forages intempestifs peuvent entraîner une rupture du confinement. Enfin, des mouvements géologiques doivent être envisagés sur la durée de référence, entraînant une remontée voire une mise à jour du centre de stockage.

 

En réalité, des techniques existent pour maximiser la sûreté des colis. La première méthode est la multiplication des barrières. La deuxième consiste en l’utilisation de matrices d’immobilisation d’une durabilité étendue.

 

  • la multiplication des barrières

 

Les colis de déchets radioactifs à haute activité et à vie longue se présentent sous la forme de lingots de verre coulés dans un container en inox.

 

La méthode retenue est d’opposer des barrières successives à la migration éventuelle, par lixiviation, des radioéléments retenus dans les verres. La figure suivante indique la forme physique d’un dispositif étudié par le CEA.

Figure 18 : schéma simplifié du confinement d’un colis de verres contenant des déchets C

Pour piéger avec plus de sûreté les radioéléments, on place le conteneur en inox dans une deuxième enveloppe, un cylindre extérieur en acier noir. Puis cet ensemble est placé dans une enveloppe de béton de dimension largement supérieure, le volume étant rempli avec de l’argile. Le schéma ci-après récapitule le système de barrières.

 

Figure 19 : les barrières successives garantissant le confinement des radioéléments à haute activité et à vie longue

 

 

 

colis de verre acier acier argile milieu

40 cm de diamètre inoxydable noir géologique

1m30 de hauteur épaisseur : épaisseur : épaisseur épaisseur :

» 2 cm » 7 cm » 30 cm

– 1m » centaine de m

 




 

1ère barrière 2ème barrière 3ème barrière

 

L’approche est de considérer qu’avec un tel dispositif, l’on dispose de 3 barrières. La première est celle du cylindre d’acier noir ou surconteneur. La 2ème est celle de l’argile remplissant l’enveloppe de béton. La troisième est celle du milieu géologique. Cette approche est très conservative, puisqu’elle conduit à ne pas tenir compte du pouvoir d’immobilisation des verres, de la barrière représentée par le conteneur d’inox, non plus que celle de l’enveloppe de béton.

 

La même approche est retenue en Suède par les responsables de SKB pour leurs études du confinement des combustibles irradiés non retraités. Les assemblages combustibles sont en effet dans un conteneur en acier inox. Ce conteneur est lui-même placé dans un surconteneur en cuivre dont les parois font 5 centimètres d’épaisseur. Le surconteneur est alors enfoui dans un trou que l’on comble avec de la bentonite, un matériau qui s’expanse rapidement en présence d’eau et devient imperméable.

 

La multiplication des barrières permet de lutter efficacement contre le phénomène le plus contraignant vis-à-vis de la sûreté, à savoir la corrosion par les eaux souterraines. Celles-ci, basiques et réductrices dans la plupart des cas, ne sont pas une source de corrosion majeure. La modélisation permet en tout état de cause de vérifier l’étanchéité à très longue échéance du stockage.

 

  • un confinement satisfaisant selon les modèles de cinétique de dissolution

 

Le CEA a mis au point des modèles mathématiques du comportement des matrices de verres en situation de dissolution. On représente la matrice saine, la zone de surface attaquée par la corrosion, la barrière de diffusion, ainsi que le site environnant. La conclusion de ces études rejoint l’appréciation intuitive que l’on peut avoir. D’une part, l’altération de la matrice dépend fortement de son environnement. D’autre part, l’interposition d’une barrière ralentit fortement voire stoppe le phénomène.

 

Sous réserve de vérifications expérimentales, ces modèles montrent que la durabilité d’une matrice de verre en contact direct avec une eau basique et réductrice est de 100 000 ans. La présence de la barrière ouvragée argileuse – le contenu de l’enveloppe de béton selon le schéma simplifié ci-dessus – permet de multiplier la durabilité par 100 et d’atteindre 10 millions d’années. Avec la barrière supplémentaire que constituent les couches profondes jusqu’à la surface, et que l’on peut considérer comme infinie, une durabilité de 1011 années est probable, garantissant, sauf événement accidentel ou géologique, le piégeage sur la durée requise.

  • l’immobilisation naturelle de radioéléments sur des millions d’années

 

Le 7 juillet 1972, des chercheurs du CEA Cadarache découvrent une anomalie dans le minerai d'uranium provenant d'Oklo au Gabon. Sa teneur en uranium 235 est très inférieure, alors que le ratio uranium 235 / uranium 238 est toujours le même, aux alentours de 0,7 %. Un mois plus tard, le CEA confirme que cette anomalie dans la concentration isotopique résulte de l'existence d'une réaction nucléaire naturelle. De fait, 16 réacteurs nucléaires sont découverts au Gabon, entre Oklo et Bangombé dans le plus vieux bassin sédimentaire du monde, datant de 2 milliards d’années. Aujourd’hui, les 15 réacteurs naturels d'Oklo ont disparu ou sont en cours d'exploitation. Les teneurs en uranium y étaient exceptionnelles - de 60 à 85 % d'uranium. Reste celui de Bangombé.

 

Bangombé raconte l'histoire d'un stockage de déchets radioactifs, réussi à 12 mètres sous terre, pendant 2 milliards d'années. Cette pile atomique naturelle a fonctionné pendant 500 ans, il y a 2 milliards d’années, puis s’est éteinte. Les produits de fission radioactifs sont restés piégés quasiment sur place. L’étude du terrain permet de suivre leur évolution, leur migration dans la roche et leurs mutations. Exemples inespérés donnés par la nature, les réacteurs d’Oklo et de Bangombé démontrent qu’il existe des méthodes d’immobilisation des actinides et des produits de fission. D’où l’idée de repliquer la nature.

 

En réalité, l’on trouve à l’état naturel de nombreuses roches qui conservent à l'état de trace de l'uranium ou du thorium. Les matrices cristallines correspondantes (silicates de zirconiums, monazites, apatites) sont des structures stables aptes à immobiliser des matériaux radioactifs jusqu'à des milliards d'années.

 

Ainsi qu’on l’a vu plus haut à propos du plutonium, des chercheurs français de l'IN2P3 ont réussi à synthétiser un phosphate de thorium de formule Th4(PO4)4P2O7 et à remplacer une partie des ions thorium de ce phosphate par des ions uranium ou plutonium, sans que la structure cristalline du phosphate de thorium change.

 

Cette voie de recherche dont l’intérêt est confirmé par des équipes australiennes et canadiennes, devrait déboucher sur la possibilité d’immobiliser les radioéléments à haute activité et à vie longue.

 

 

  • avec les céramiques, peut-être l’immobilisation des actinides mineurs et des produits de fission sur 2 milliards d’années, sauf accident naturel ou provoqué par l’Homme

 

Les nouveaux matériaux regroupés sous le nom générique de céramiques regroupent en fait différentes matrices comme les apatites, déjà présentées plus haut comme intéressantes pour l’immobilisation du plutonium. Leur intérêt est aussi grand pour l’immobilisation des actinides mineurs et des produits de fission à vie longue que pour celle du plutonium. La céramique à base de phosphate de thorium mise au point par l'IN2P3 permettrait d'incorporer jusqu’à 40 % de plutonium, 53 % de neptunium ou 75 % d'uranium sans que sa structure cristalline se modifie.

 

En réalité, il s’agit de vitro-céramiques préparées par fusion des matières de départ, fusion suivie d’un refroidissement qui conduit à la formation d’une solution solide. Ces (vitro-)céramiques sont beaucoup plus résistantes à la corrosion que des simples céramiques fabriquées par frittage. Dans ce dernier cas, on obtient en effet un réseau polycristallin constitué de cristaux d’une taille de 100 µ avec des joints de grain qui fragilisent la structure.

 

Compte tenu de l’importance du sujet, il apparaît souhaitable à vos Rapporteurs de voir ces techniques explorées résolument.

 

  • la nécessité de construire au moins deux laboratoires souterrains profonds

 

Les thèmes de recherche qui nécessitent des expériences en laboratoire souterrain sont nombreux. Parmi ceux-ci, on peut citer la durabilité des conditionnements et des barrières dans les milieux géologiques profonds, la migration des radioéléments, les procédés de manutention, de dépôt et de reprise des colis, etc. Tout cela rend nécessaire la construction des deux laboratoires - au moins - prévus par la loi du 30 décembre 1991. Au terme d’un long parcours, le dossier déposé par l’Andra est complet et dispose des avis favorables nécessaires. Le temps de la décision est venu.

 

En janvier 1994 s’achève le processus de concertation entre les élus, la population et l’Andra, l’opérateur clé dans le domaine des laboratoires souterrains. Ce processus original a été animé par votre Rapporteur. Sur la base de ses recommandations, le Gouvernement choisit 4 zones favorables, dans le Gard, la Haute-Marne, la Meuse et la Vienne. Les travaux de reconnaissance géologique subséquents menés par l’Andra, conduisent au choix de 3 sites : un site argileux à Bure aux confins de la Haute-Marne et de la Meuse, un autre site argileux à Marcoule près de Bagnols-sur-Cèze dans le Gard, et le troisième site, cette fois granitique, de la Chapelle-Bâton dans la Vienne.

 

Le 15 mai 1996, le Gouvernement autorise l’Andra à déposer 3 Dossiers d’Autorisation d’Implantation et d’Exploitation de laboratoire souterrain (DAIE), ce qui est fait au cours du 2ème semestre de l’année 1996. La DSIN envoie alors les dossiers aux préfectures concernées en vue du déclenchement de l’enquête publique prévue par le décret d’application de la loi de 1991. La DSIN fait aussi parvenir pour consultation les dossiers aux conseils municipaux, généraux et régionaux concernés.

 

Les enquêtes publiques se concluent toutes les trois par des avis positifs en 1997. Les préfets donnent également un avis positif. La très grande majorité des collectivités concernées manifestent également leur accord aux projets.

 

Simultanément, à ces procédures locales, la DSIN transmet les demandes de l’Andra au groupe permanent d’experts, qui examine les dossiers les 10 et 24 mars, et le 2 avril 1997. L’analyse poussée à laquelle se livrent ces instances de conseil de la DSIN, sorte de " parlement de la sûreté nucléaire " porte sur 3 points : d’une part, le degré de connaissance et de compréhension des sites au regard des règles fondamentales de sûreté afférentes, d’autre part la cohérence d’ensemble du programme de recherche et la stratégie de démonstration de sûreté globale du stockage et enfin la méthodologie du programme de recherche.

 

Le groupe permanent compétent sur l’aval du cycle donne un avis favorable pour les trois sites. Rappelons que M. Claude Birraux, député de Haute-Savoie, a assisté en 1991 aux réunions d’un autre groupe permanent, celui-là chargé des réacteurs, et qu’il en a apprécié le sérieux.

 

S’agissant du site de La Chapelle-Bâton, le groupe permanent note les caractéristiques positive du site en ce qui concerne les critères importants de la Règle Fondamentale de Sûreté (RFS III 2 f). Il note qu’il existe selon toute vraisemblance sur le site, des blocs de granite de faible perméabilité et de dimensions hectométriques suffisantes pour y aménager un laboratoire d’étude. Il relève aussi la présence d’aquifères exploités entre la surface et la couche de granite visée, qui peuvent apporter des perturbations hydrauliques dans le granite et convient que la difficulté de caractérisation des fracturations conductrices est en réalité une difficulté commune à tous les milieux granitiques. Ce faisant, le groupe permanent donne un avis positif à l’installation d’un laboratoire souterrain à la Chapelle-Bâton.

 

Le rapport conclusif de la DSIN remis au Gouvernement le 1er décembre 1997 indique que les 3 projets de laboratoire souterrain ne présentent aucune caractéristique rédhibitoire et conclut à la qualification des formations géologiques spécifiques locales. La DSIN établit un ordre de priorité technique, en classant n°1 le site de Bure, n°2 le site du Gard et n°3 le site de la Chapelle-Bâton. A propos de ce 3ème site, la DSIN précise " qu’un laboratoire n’aurait que peu de chances de déboucher sur un stockage, compte tenu des réserves techniques émises ".

 

Vos Rapporteurs estiment que le site de la Vienne ne doit pas être écarté pour deux raisons essentielles.

 

La première est que les laboratoires sont considérés comme des instruments d’étude par la loi de 1991. Certains veulent voir ces laboratoires comme des outils de qualification d’un stockage géologique répondant à l’impératif de la loi de 1991 à l’échéance de 2006. Au contraire, l’esprit de la loi veut qu’il s’agisse d’abord d’un instrument de recherche. Or le site de la Vienne correspondant au granite apporte une diversité de milieu géologique face à l’argile des deux autres sites. Il offre donc une option supplémentaire.

 

Par ailleurs, la majorité des laboratoires en profondeur – 4 sur 7 – construits par d’autres pays se trouvent en milieu granitique. Les comparaisons internationales notamment avec les pays étudiant le stockage direct des combustibles usés seraient possibles et viendraient enrichir la connaissance du sujet.

 

  • des investissements et des coûts d’exploitation à la portée de la filière

 

Le coût de construction des 3 laboratoires est estimé par l’Andra à 2,694 milliards de F. Les dépenses déjà faites s’élèvent à 1,73 milliard de F. Le tableau suivant indique les coûts annuels de fonctionnement et d’expérimentation, coûts qui varient fortement selon la période considérée – étude, construction, expérimentation.

 

Tableau 48 : budget d’investissement et de fonctionnement des 3 laboratoires de l’Andra

 

1994-1997

1998-2001

2002-2006

total

durée (année)

4

4

4

12

coûts annuels (millions de F)

études préliminaires

433,5

1734

exploitation technique

345,0

1380

études

418,3

1673

expérimentations

359,8

1439

communication

29,1

29,1

29,1

349

mesures d'accompagnement

136,8

136,8

136,8

1641

conseil scientifique et commission nationale d'évaluation

1,5

1,5

1,5

18

coût de fonctionnement annuel

600,8

167,3

1 290,3

-

cumul sur la période

2 403,3

669,3

5 161,3

8234

construction (millions de F)

2 694

total général en millions de F pour période 1994-2006

10 928

 

Les coûts du tableau précédent sont à comparer avec les budgets des laboratoires souterrains construits et exploités dans d’autres pays. Des données fragmentaires existent pour la Suède, la Belgique et le Canada. Il semble que le coût moyen annuel d’investissement et de fonctionnement d’un laboratoire proposé par l’Andra soit au milieu de la fourchette des coûts affichés dans ces trois pays.

 

 

3.2. les contraintes de sûreté de la surface ou de la sub-surface

 

Ainsi qu’il a été dit plus haut, les travaux de réflexion approfondie sur l’entreposage en surface ou en sub-surface ont réellement commencé en France au milieu de l’année 1997, avec un retard certain par rapport à ceux menés sur les deux premières voies de recherche.

 

Toutefois, ces réflexions sont loin de partir de zéro. L’on dispose en effet d’une expérience de l’entreposage en surface avec les installations Cascad du CEA Cadarache et EVT7 de Cogema La Hague. Différentes problématiques apparaissent d’ores et déjà avec netteté.

 

  • le retour d’expérience de Cascad, installation d’entreposage de combustibles irradiés

 

L’installation Cascad, mise en service en 1990, assure l’entreposage à sec pour une durée maximale de 50 ans des combustibles EL4 de Brennilis et des combustibles des réacteurs embarqués de propulsion navale. Le retour d’expérience de Cascad est pertinent pour l’entreposage à sec des combustibles irradiés mais aussi pour celui des colis de verres contenant des déchets C (actinides mineurs et produits de fission). Sa capacité est de 315 puits dont un tiers environ seulement est occupé à la mi-98. Les trois priorités de construction de l’installation ont été le confinement des produits, l’évacuation de la puissance thermique et la tenue des équipements au séisme. La ventilation s’effectue par convection naturelle auto-régulée.

 

Le bilan de cette installation est largement positif : aucun problème sérieux de sûreté ou de manutention n’est apparu au cours des 7 premières années d’exploitation, mis à part les trois pannes de la ventilation nucléaire qui ont été sans gravité compte tenu du large délai large pour intervenir, donné lors de la conception. L’autorisation de fonctionnement est donnée pour 50 ans. Il ne paraît pas impossible qu’elle puisse être étendue le moment venu.

 

En tout état de cause, l’expérience Cascad nourrit la réflexion des équipes chargées au CEA du projet " Entreposage de Très Longue Durée " (ETLD). Avec les premières ébauches élaborées par le CEA et exposées à vos Rapporteurs, apparaissent les lignes de force des difficultés à résoudre et des arbitrages à prendre.

 

 

 

  • des précautions multiples pour assurer la sûreté en surface et en sub-surface

 

 

Plusieurs concepts d’entreposage sont à l’étude au CEA. L’entreposage en surface ou en sub-surface n’est un problème simple qu’à moyen terme. Au-delà des 50 années correspondant à l’exercice actuel de Cascad, la durabilité exige des approches et des techniques nouvelles. Les figures suivantes présentent divers concepts retenus comme base de travail. Ces schémas sont utiles pour toucher du doigt la complexité de la problématique du " provisoire de longue durée  ".

 

Figure 20 : divers concepts d’entreposage de très longue durée en surface

Figure 21 : divers concepts d’entreposage de très longue durée en sub-surface

La première contrainte de la surface et de la sub-surface provient de la nécessité d’une surveillance permanente, même à distance, des installations. Le risque d’intrusion est évidemment plus élevé qu’en stockage profond. Les conséquences d’un éventuel relâchement de radioactivité sont plus immédiates. Cette surveillance doit porter à la fois sur la sécurité physiques des installations et sur leur sûreté.

 

La circulation des eaux de surface ou des eaux souterraines est un exemple de paramètre fondamental pour la sûreté et dont il faut pouvoir anticiper les évolutions à long terme. L’objectif est double en la matière : il faut éviter l’inondation des locaux d’entreposage et à l’inverse, garantir la récupération des effluents qui pourraient se former dans l’installation.

 

La sûreté de l’entreposage dépend évidemment de la qualité des équipements mais aussi de l’environnement de ceux-ci. Dans le cas de l’entreposage en surface, avec une casemate type Cascad (cas B), l’obturation des entrées ou des sorties d’air empêche l’évacuation de la chaleur résiduelle et compromet la sûreté. Dans le cas d’une piscine en sub-surface, il est nécessaire de prévoir, comme dans l’installation CLAB d’Okarshamm en Suède, la tenue au séisme du bassin d’immersion, ce qui peut conduire à des dépenses considérables. La surveillance de l’installation doit donc comprendre la surveillance de l’environnement utile, ce qui doit conduire à identifier et à équiper en instruments de contrôle les zones ayant un impact sur la sûreté du centre d’entreposage.

 

Au reste, la surveillance des paramètres physiques de l’entreposage pose en elle-même des questions scientifiques difficiles. En effet, pour surveiller, il faut définir des seuils d’alerte. Or, par exemple, pour le moment, on ne connaît pas le comportement à long terme des combustibles et des gaines. Quels gaz sont susceptibles de se former dans les assemblages à long terme ? Quelle sera la diffusion de ces gaz dans les gaines et quel sera leur impact sur la tenue de celles-ci ? Il faudra donc connaître avec précision le schéma d’évolution de ces divers matériaux irradiés. Par ailleurs, l’instrumentation de détection devra avoir une longévité certaine, ce qui obligera à recourir à des solutions éprouvées.

  • l’opposition ou la complémentarité surface - sub-surface

 

L’entreposage en sub-surface prend deux acceptions principales à l’étranger. D’une part l’utilisation d’une anfractuosité naturelle ou non dans un relief préexistant à laquelle on accède par une rampe horizontale. D’autre part une cavité artificielle située à une profondeur variant d’une dizaine à une centaine de mètres.

 

On peut rajouter une autre variante de la sub-surface. Cette variante est proche de la configuration des centres de stockage de déchets de faible et moyenne activité. Il s’agirait d’une tranchée, que l’on saturerait progressivement et que l’on recouvrirait en fin d’exploitation d’une couche de terre d’épaisseur significative.

 

Par rapport à la surface, la sub-surface présente évidemment une sûreté accrue vis-à-vis des risques d’intrusion ainsi que de destruction des infrastructures. Ses contraintes d’exploitation ne sont pas pour autant nulles.

 

 

3.3. le prix de la réversibilité

 

La réversibilité est une notion séduisante en ce qu’elle laisse ouvert le champ du possible.

 

La reprise des combustibles usés et des déchets peut en effet être nécessaire dans différents cas. Le premier cas est celui d’une perte de confinement dangereuse pour l’environnement qui obligerait à reprendre les colis pour mieux les conditionner, par exemple.

 

Le deuxième cas est celui où la mise au point de nouvelles techniques de destruction des déchets rendrait possible une diminution de la radiotoxicité des déchets.

 

Le troisième cas est celui où les déchets – ou plutôt les combustibles irradiés dans cette hypothèse – pourraient voir leur contenu énergétique valorisé parce que les conditions de marché les rendraient alors compétitifs.

 

La réversibilité a donc son prix. Mais elle a aussi un coût important car elle oblige à renforcer les conditions de sécurité et de sûreté et impose une durabilité inhabituelle à un ensemble de technologies et d’équipements.

La réversibilité apparaît comme compliquant la sécurité, sinon comme contraire à celle-ci. La réversibilité signifie possibilité de désentreposer les colis, de réouvrir ces derniers et d’en extraire les matières radioactives. Des techniques d’interdiction de toutes ces étapes aux cas non autorisés devraient pouvoir être imaginées mais leur coût viendra alourdir les coûts d’entreposage.

 

La réversibilité rend plus complexe également le maintien d’un niveau de sûreté satisfaisant. Les matrices immobilisant les radioéléments dans la masse, comme les verres ou mieux les céramiques, devraient, en bonne logique, être abandonnées, alors qu’elles sont un puissant élément de sûreté. La multiplication des barrières serait toujours envisageable, avec toutefois des risques de contournement de celles-ci ou de fuites, puisque ces barrières devraient être amovibles.

 

La réversibilité oblige par ailleurs à une pérennité des équipements de manutention. Cette pérennité peut résulter de la robustesse et de la simplicité des appareils de départ. Elle peut aussi être obtenue par une maintenance attentive et régulière qui viendrait obérer les coûts d’exploitation.

 

Si la réversibilité était considérée comme une priorité, il faudrait alors délaisser les solutions sophistiquées et les équipements spécialisés, sauf à accroître les coûts d’entreposage. Mais dans cette hypothèse, il apparaît clairement que la simplicité et le caractère standard des équipements de transport ou de levage ne militent pas en faveur de la sécurité.

 

Au final, la réversibilité pourrait favorablement être limitée dans le temps. Un compromis pourrait être trouvé avec le coût et la sûreté.

 

Si l’on prend le cas d’un entreposage en sub-surface avec l’insertion des colis dans des puits verticaux ou horizontaux, l’on peut imaginer que la réversibilité soit fonction du taux de remplissage. Dès qu’un puits serait saturé, il serait obstrué, par exemple avec de la bentonite. Il en serait de même pour une galerie puis pour un niveau de stockage, etc. En fonction des dimensions de l’entrepôt, on pourrait optimiser la réversibilité avec le coût et la sûreté de l’installation.

 

En réalité, un optimum devrait pouvoir être dégagé, pour chaque type d’installation, entre la durée de la réversibilité, le coût de l’entreposage et le niveau de sûreté de celui-ci.

 

 

3.4. la charge pesant sur les générations futures

 

Le débat sur la réversibilité a comme fondement la question de la charge que la mise en œuvre de l’énergie nucléaire fait peser sur les générations futures.

 

Faut-il résoudre définitivement le problème de la gestion des déchets, en les stockant d’une manière aussi sûre que possible - et en tout cas irréversible - de façon que les générations futures n’aient, sauf accident, aucune obligation de gestion, de contrôle et de surveillance ?

 

Faut-il au contraire préférer une gestion consciente et donc un suivi permanent de génération en génération pour surveiller, contrôler et éventuellement reprendre les déchets si cela présente un avantage ?

 

La discussion sur ces questions ressort de l’éthique mais elle gagnerait à être nourrie par une évaluation des coûts des solutions alternatives. Des calculs de probabilité devraient en outre pouvoir éclairer la décision en la matière, bien que ce genre d’exercice soit particulièrement complexe et périlleux.

 

En définitive, compte tenu des durées moyennes d’activité des radioéléments présents dans les déchets, il reste de toute façon à inventer, les moyens de transmettre une information complète sur les installations d’entreposage ou de stockage et sur leurs contenus, à l’horizon de plusieurs dizaines de milliers d’années.

 

3.5. la nécessité d’éviter des décisions hâtives

La tentation est grande pour les intervenants ou les observateurs de l’aval du cycle de se livrer au jeu de l’ordonnance " minute " du docteur ès déchets, en affectant telle catégorie de déchets à tel type de dépôt, sur la base d’analyses au demeurant incomplètes en l’état actuel des connaissances.

 

Vos Rapporteurs en tout cas s’y refusent. Les réflexions sérieuses sont engagées depuis peu. Il manque encore des pans entiers de connaissances, notamment sur les durabilités, la sûreté et les coûts.

 

Certes, de nombreux pays ont déjà fait des choix clairs en la matière. Mais l’intervalle de temps qui nous sépare du rendez-vous de 2006 fixé par la loi du 30 décembre 1991 est précisément fait pour accumuler les données et dégager les critères de décision qui permettront une décision rationnelle à cette date, et seulement à cette date.

 

 

 

4. Le jeu institutionnel : réussites et débordements

 

La mise en œuvre des axes de recherche définis par la loi de 1991 exige des efforts continus de la part d’un nombre important d’opérateurs de la filière nucléaire. Il semble essentiel important à vos Rapporteurs de faire le point sur les stratégies individuelles en la matière et sur la coopération indispensable entre les acteurs. A cet égard, vos Rapporteurs notent avec satisfaction davantage de réussites que de débordements ou d’insuffisances.

 

 

4.1. La commission nationale d’évaluation : du jury de thèse au gouvernement mandarinal

 

La commission nationale d’évaluation a été instituée par la loi du 30 décembre 1991. Dans la préparation de cette loi, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a joué un rôle clé qui a été reconnu unanimement par tous les observateurs du dossier de la gestion des déchets nucléaires. L’Office parlementaire, par la voix de vos Rapporteurs, est d’autant plus libre aujourd’hui de signaler une certaine dérive des pratiques, dérive qui n’est pas, au minimum, compatible avec l’esprit de la loi.

 

La loi impose un certain type de rapports entre la commission nationale d’évaluation, le Gouvernement et le Parlement. Un glissement des pratiques semble s’être produit, au détriment de l’esprit de la démarche globale qui a présidé à l’élaboration de la loi de 1991. Il semble également que la répartition des rôles des différents acteurs de la filière nucléaire s’infléchit dans un sens qui n’est pas souhaitable.

 

Ce sont ces points qui sont soulignés dans la suite, sans, bien entendu, qu’il entre dans les intentions de vos Rapporteurs de mésestimer en quoi que ce soit les apports de la commission nationale d’évaluation.

 

  • la mission fixée par la loi : aider le Gouvernement à informer le Parlement

 

Dans son article 4, la loi n° 91-1381 dispose que :

" Art. 4. - le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport faisant état de l’avancement des recherches sur la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue et des travaux qui sont menés simultanément pour :

- la recherche des solutions permettant la séparation et la transmutation des déchets radioactifs à vie longue présents dans ces déchets ;

- l’étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes, notamment grâce à la réalisation de laboratoires souterrains ;

- l’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface de ces déchets.

A l’issue d’une période qui ne pourra excéder quinze ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement adressera au Parlement un rapport global d’évaluation de ces recherches accompagné d’un projet de loi autorisant, le cas échéant, la création d’un centre de stockage des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue et fixant le régime des servitudes et des sujétions afférentes à ce centre.

Le Parlement saisit de ces rapports l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

Ces rapports sont rendus publics.

Ils sont établis par une commission nationale d’évaluation, composée de :

- six personnalités qualifiées, dont au moins deux experts internationaux, désignées, à parité par l’Assemblée nationale et par le Sénat, sur proposition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;

- deux personnalités qualifiées désignées par le Gouvernement, sur proposition du Conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaires ;

- quatre experts scientifiques désignés par le Gouvernement, sur proposition de l’Académie des sciences. "

La loi est donc claire sur le processus d’information. Le Gouvernement doit informer chaque année le Parlement sur les recherches relatives à la gestion des déchets nucléaires à haute activité et à vie longue. La commission nationale d’évaluation établit à cet effet un rapport d’information pour le compte du Gouvernement. Le Gouvernement transmet ce rapport au Parlement. Le Parlement saisit l’Office parlementaire.

 

  • une solennité et une séquence symboliques

 

Première et unique loi - pour le moment - faisant intervenir le Parlement dans le processus de décision sur l’énergie nucléaire, la loi du 30 décembre 1991 instaure une répartition des rôles à l’intérieur d’un calendrier précis.

 

Le contexte du vote de la loi doit être rappelé. La France, tous responsables confondus, s’était fourvoyée à la fin des années 80 dans un processus volontariste de création de centres de stockage souterrains, processus incompatible avec la volonté de transparence de l’opinion. Le Gouvernement de l’époque avait sollicité l’intervention du Parlement pour débloquer la situation et trouver une solution de réconciliation.

 

L’esprit de la loi du 30 décembre 1991, c’est de dire que, jusqu’en 2006, c’est le temps de la recherche. Jusqu’à cette date, la mission des acteurs de la filière est d’ouvrir le plus grand nombre possible d’options. Mais l’esprit de la loi, c’est aussi d’instaurer un dialogue permanent et une information mutuelle constante entre le Gouvernement et le Parlement.

 

C’est le Gouvernement dans sa plénitude qui est concerné et non une commission d’experts, même créée par la loi.

 

La loi ne prévoit pas expressément une transmission officielle semblable à celui du rapport de la Cour des Comptes. Mais son esprit est exactement le même. Vos Rapporteurs regrettent à cet égard que les Gouvernements successifs n’aient pas pris l’initiative d’une transmission solennelle du rapport annuel d’avancement des recherches, selon une procédure qui aurait facilement pu être élaborée.

 

Un deuxième constat doit être fait. Une séquence est introduite par la loi. Le Gouvernement adresse chaque année au Parlement le rapport d’avancement des recherches. Le Parlement saisit l’Office parlementaire. Ce rapport est rendu public. Il y a donc lieu de respecter cette séquence. En toute logique, c’est à la fin de ce processus que la publication du rapport est autorisée. On peut même y voir la responsabilité de l’Office parlementaire de publier ce rapport et ceci sous son timbre.

 

Comment ne pas voir dans la pratique des choses une dérive par rapport à la loi quand on lit dans le rapport n° 3 de septembre 1997 la phrase suivante :

 

" La Commission a également consacré 9 séances plénières ou partielles à la rédaction de ce document qui est présenté aux Ministères et à l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, le 10 septembre 1997, puis aux acteurs de la loi et à la presse ".

  • l’affaire du site granitique : information, évaluation ou décision ?

 

La loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs dispose que des études seront menées sur l’étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes, notamment grâce à la réalisation de laboratoires souterrains.

 

Le processus devant aboutir au choix d’au moins deux laboratoires - comme le spécifie la loi en utilisant le pluriel - est désormais achevé. La DSIN a remis le 1er décembre 1997 le rapport final qui rend possible la prise de décision par le Gouvernement.

 

Il faut bien constater que la commission nationale d’évaluation a, par son intervention non prévue par les textes, restreint le choix du possible. Son raisonnement est contesté par l’Andra qui y décèle une prudence excessive et non fondée et qui restreint a priori la dimension de la recherche. Ainsi apparaît posée la grave question de la définition des responsabilités. L’Andra est-elle maîtresse de ses choix, sur la base d’une responsabilité de sa direction ou au contraire est-on insensiblement passé à une situation de cogestion voire à une mise sous tutelle des organismes du nucléaire ?

 

Quelle est l’intervention de la commission nationale d’évaluation sur ce dossier ?

 

Ni la loi de 1991 ni son décret d’application n° 93-940 du 16 juillet 1993 ne prévoient son intervention directe. Selon la loi de 1991, la mission de la commission nationale d’évaluation est d’élaborer pour le Gouvernement, un rapport sur l’état d’avancement des recherches destiné au Parlement.

 

Mais dans son rapport n° 2 de juin 1996, la commission émet des réserves sur le site de la Vienne. Dans son rapport n° 3 de septembre 1997, la commission note que " en l’absence de concept de stockage propre à ce site précisant notamment le rôle de la barrière géologique, les risques de circulation de fluides entre le granite et les aquifères exploités augmentent considérablement la difficulté de qualifier ce site particulier pour un éventuel stockage. [...] L’évaluation de ce site conduit donc à constater l’existence d’aspects négatifs paraissant aujourd’hui incontournables et qui amènent la commission à aller au-delà des réserves qu’elle avait exprimées dans le rapport n°2 ".

 

Trois questions se posent :

- La vérité scientifique est-elle établie en ce qui concerne les éventuelles connections entre les eaux souterraines et les nappes phréatiques ?

- La DSIN est-elle fondée à invoquer d’autres avis que ceux du groupe permanent d’experts qu’elle a placée auprès d’elle ?

- L’avis de la commission repose-t-il sur des bases scientifiques objectives ou sur l’insuffisante préparation du dossier présenté par l’Andra ?

 

  • un jury de thèse souverain

 

Les exemples sont nombreux de rapports tendus entre la commission nationale d’évaluation et les responsables des recherches sur la loi de 1991.

 

Dans le cas du choix des sites des laboratoires souterrains, l’Andra, constatant les réserves émises sur le site de la Vienne - réserves qu’elle estime non fondées et c’est sa responsabilité et son droit le plus strict - essaie sans succès de dialoguer avec la commission pendant un semestre entier.

 

D’une manière générale, la communication spontanée de nombre d’acteurs de la filière se focalise sur la commission, alors que l’Office doit solliciter les documents, qui lui sont au demeurant fournis bien volontiers, il faut l’admettre. La formulation des rapports écrits de la commission revêt un ton abrupt sinon comminatoire. Enfin, ainsi que cela a été confié à vos Rapporteurs par de multiples chercheurs, les comparutions devant la commission se déroulent comme devant un jury de thèse, avec un esprit de jugement et non pas la volonté de dialogue ou de conseil qu’il conviendrait de trouver et qui aurait sans doute une efficacité plus grande.

 

En vérité, pour s’arroger ce rôle de censeur, la commission s’appuie non pas sur l’esprit de la loi de 1991 mais sur la lettre de sa dénomination et sur une interprétation abusive du concept d’évaluation.

 

  • l’impossibilité d’un gouvernement mandarinal de la recherche sur les déchets radioactifs

 

La loi du 30 décembre 1991 a soigneusement évité l’erreur qui aurait été de faire intervenir la représentation nationale dans les décisions quotidiennes de la recherche sur les déchets radioactifs de haute activité. Trois grands axes ont été fixés, à charge pour les organismes du secteur de prendre leurs responsabilités. Compte tenu de l’importance des enjeux, le Parlement doit seulement, chaque année, être informé de la progression des recherches par le Gouvernement.

 

Le découpage la plupart du temps recommandé pour l’organisation de la recherche comprend trois catégories : l’impulsion, la décision et le contrôle. La confusion entre les mêmes mains de deux ou trois domaines connexes est toujours contre productive. Mais la mission fixée par la loi à la commission n’appartient à aucun des trois. Le texte de la loi et son esprit attestent qu’il s’agit seulement pour elle, en dépit de sa dénomination, non pas de décider ni même de contrôler mais de participer à l’action d’information du Parlement qui incombe au Gouvernement.

 

Comment ne pas voir dans la pratique une contradiction quand on lit que le rapport de la commission s’intitule " rapport d’évaluation ", alors qu’il s’agit pour le Gouvernement de transmettre au Parlement un " rapport faisant état de l’avancement des recherches " établi par cet aréopage ?

 

Par l’audition des responsables de la recherche sur la gestion des déchets, par la confrontation des idées et la suggestion de pistes de recherche, la commission nationale d’évaluation a certainement eu un apport positif ces dernières années. Mais son intervention sur la conduite des programmes de recherche semble dépasser sa stricte mission. Il est vrai qu’il n’y a jamais loin du pouvoir d’informer au pouvoir de décider, en passant par le pouvoir d’influencer.

 

Il convient donc que la commission s’en tienne au seul rôle d’enquête et d’information que la loi lui confère.

 

 

4.2. le nouvel engagement du CEA

 

Tout au long de leurs entretiens avec ses représentants et lors des visites de ses installations, vos Rapporteurs ont perçu le dynamisme, la compétence et l’engagement presque vibrant de l’institution en faveur des recherches sur l’aval du cycle. La ligne tracée au CEA est claire et ferme. Si cet organisme incomparable possède une compétence et une réactivité exemplaires, il faudrait ni le surcharger par des demandes trop nombreuses ni le priver de sa marge d’action par des exigences trop pressantes.

 

  • un réel effort intellectuel et budgétaire

Les moyens financiers et humains alloués par le CEA à la recherche sur les 3 axes de la loi du 30 décembre 1991 ont été presque multipliés par deux depuis le vote de cette loi. En 1998, 616 chercheurs travaillent sur ces domaines. Le budget total de 1998 atteint 770 millions de F, dont 129 pour les investissements. Le tableau suivant illustre l’importance relative des trois axes.

 

Tableau 49 : évolution des moyens humains et financiers du CEA consacrés aux recherches de la loi de 1991

 

nbre de chercheurs – millions de F

effectifs

budget total

investissements

1991

1998

1991

1998

1991

1998

Axe 1 : séparation-transmutation

102

265

132

359

31

90

Axe 2 : stockage réversible ou irréversible en couche profonde

49

102

53

113

9

8

Axe 3 : conditionnement et entreposage de longue durée en surface

176

250

201

298

28

31

Total

327

616

385

770

68

129

 

La faiblesse des moyens alloués à l’axe 2 s’explique par le fait que c’est l’Andra qui pilote les recherches dans ce domaine.

 

  • une surcharge et une urgence préjudiciables à de bonnes décisions

 

Il paraît important de souligner le fait que le CEA se trouve aujourd’hui pressé, sans doute trop pressé, de prendre des décisions dans des délais très courts sur des sujets au demeurant complexes et importants pour son avenir. Ainsi, en ce qui concerne le futur réacteur d’irradiation Jules Horowitz (RJH), le CEA pourrait être tenté de vouloir atteindre des objectifs trop nombreux, à savoir de disposer grâce à ce même réacteur d’une source de neutrons thermiques mais aussi d’une source de neutrons rapides. Le CEA pourrait dès lors être conduit à choisir une configuration complexe qui ferait déraper le coût de cet équipement lourd. Le coût du RJH est situé pour le moment situé dans une fourchette de 2 à 3 milliards de F.

 

Sur un autre plan et du fait d’une accélération du processus de décision, le CEA semble être obligé de prendre parti sur les réacteurs hybrides dans des délais trop restreints. Il est vrai que l’arrêt de Phénix à la fin de l’année 2004 privera la France de sa dernière source de neutrons rapides, source indispensable pour les études de transmutation. Mais de toute façon l’échéance d’un éventuel réacteur hybride est 2010.

 

Même si le calendrier des opérations devant conduire à la décision d’un démonstrateur prévoit que le choix des options n’interviendra qu’en 2000, on peut se demander non seulement si le sujet peut valablement mûrir en deux ans mais surtout s’il sera possible, dans l’intervalle, d’évaluer correctement son apport pour les études de transmutation. Enfin, la question peut être posée de savoir, du fait d’une accélération du processus de décision, si le CEA a les moyens humains et financiers d’entreprendre simultanément la réalisation de deux réacteurs de cette taille, même si le projet de réacteur hybride doit s’inscrire dans une coopération internationale.

4.3. l’Andra, un organisme qui doit affirmer sa compétence scientifique

En créant l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), le législateur a voulu officialiser l’importance de ce sujet pour l’avenir de l’aval du cycle et créer un organisme responsable destiné à devenir l’interlocuteur de l’ensemble des opérateurs de la filière.

Pour atteindre les objectifs que la loi lui a fixés, l’Andra assume la responsabilité de maître d’ouvrage scientifique. A ce titre, l’agence définit et contrôle les programmes de recherche nécessaires à l’évaluation des possibilités de stockage sur les sites géologiques étudiés. L’Andra mobilise des compétences scientifiques externes par exemple pour réaliser des reconnaissance géologiques, pour élaborer des concepts de stockage ou préparer des programmes expérimentaux pour les futurs laboratoires souterrains.

 

L’Andra se présente ainsi comme un maître d’ouvrage scientifique qui confie la responsabilité de contrats de recherche à des organismes tels que le CNRS, le BRGM et le CEA. Pour autant, l’Andra compte parmi son personnel plus de 70 chercheurs et ingénieurs, spécialistes des sciences de la terre, de la sûreté ou de l’ingéniérie.

 

Il est évident que l’Andra ne peut avec ses propres moyens couvrir tout l’éventail des compétences scientifiques. Sa position de " maître d’ouvrage scientifique " est donc la seule viable pour cet organisme au demeurant récent dans le paysage technique français. Il semble toutefois que pour renforcer la crédibilité des solutions qu’il propose et qu’il proposera à l’avenir, il lui soit nécessaire de développer une compétence propre dans un domaine scientifique et technique.

 

Peut-être faudrait-il que l’Andra définisse un champ de recherche en ligne avec ses points forts actuels et développe un savoir-faire sans équivalent, ce qui lui permettrait de débattre dans de meilleures conditions avec ses partenaires.

 

 

 

 

 

5. Optimiser la durée et les coûts

 

 

Alors que les opérateurs du cycle du combustible s’étaient mis dans une impasse à la fin des années 80, en supposant acquis le consentement des populations à l’enfouissement des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue, la loi du 30 décembre 1991 a permis de donner un temps de respiration et de réflexion à la collectivité nationale pour choisir le meilleur mode de gestion des déchets nucléaires.

 

Le laps de temps de 15 ans introduit pour pousser les recherches et informer le public pourrait paraître, en première analyse, comme un temps d’arrêt ou d’indécision prononcée, alors que certains pays ont progressé rapidement dans la recherche et l’adoption d’une organisation particulière de l’aval du cycle du combustible.

 

En réalité, il n’en est rien. L’unité de temps du nucléaire, c’est le demi-siècle. Cette durée correspond à la durée de vie probable des centrales nucléaires de la première génération. C’est le temps qu’il aura fallu attendre entre la conception des premiers réacteurs à eau pressurisée et la mise au point du réacteur européen du futur EPR.

 

A l’intérieur de l’étape de 15 ans fixée par la loi de 1991, des progrès considérables ont déjà été faits non pas tellement sur la mise au point de solutions opérationnelles que sur le recensement des enjeux, des problématiques et sur la définition de l’approche qu’il faudra retenir le moment venu.

 

Vos Rapporteurs estiment toutefois que le temps est venu d’accélérer l’allure. Il convient d’optimiser l’intervalle de temps qui nous sépare du rendez-vous de 2006 fixé par la loi.

Pour ce faire, les dates fondamentales des prochaines décennies doivent être connues de tous. Le temps restant de 7 années doit être utilisé à plein pour poser les problèmes fondamentaux. Un recensement des dates clés est effectué dans la suite pour contribuer à la transparence du futur.

 

Par ailleurs, une démarche novatrice doit être introduite dans le domaine de l’aval du cycle.

 

Il fut un temps où, pour se rapprocher de l’indépendance énergétique, le recours à l’énergie nucléaire a été décidé dans l’urgence. Cette situation est derrière nous. L’électricité nucléaire, ressource nationale inespérée, a donné à la France une marge de manœuvre économique précieuse pour la bonne tenue de son commerce extérieur. Aujourd’hui, l’ouverture du marché de l’électricité oblige à un nouvel effort de compétitivité l’électricien national. Il est temps d’introduire avec un poids accru les raisonnements économiques pour valider des choix techniques et industriels du nucléaire.

 

Les développements qui suivent ne constituent qu’une esquisse d’ébauche de la démarche que vos Rapporteurs voudraient développer dans une future étude.

 

 

 

 

5.1. les rendez-vous essentiels

 

L’avenir d’un outil industriel de la taille et de l’importance économique du nucléaire se prépare en anticipant de très loin – c’est-à-dire une dizaine d’années en avance – les évolutions nécessaires. La démarche de la loi de 1991 est progressive. Elle vise à préparer les décisions par la mise au point d’un corpus de connaissances et de méthodes qui permettront des décisions non seulement rationnelles mais aussi respectueuses des attentes souvent contradictoires de nos concitoyens. Il s’agit de se préparer à résoudre des problèmes incontournables comme la mise à disposition d’outils de recherche, l’éventuel renouvellement du parc nucléaire ou la saturation des entreposages.

 

  • la démarche progressive de la loi de 1991 :

 

La démarche de la loi de 1991 est une démarche progressive voire progressiste. La loi a recensé, avec l’aide des scientifiques, l’ensemble des pistes de recherche susceptibles d’apporter une solution au problème de la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue. La loi oblige ensuite la collectivité à un effort programmé de recherche. Il s’agit sans doute d’un exemple unique où la foi dans la recherche est inscrite concrètement dans la loi.

 

L’esprit de la loi, vos Rapporteurs ne le répéteront jamais assez, est de ne fermer aucune porte, y compris celle du stockage profond. Cette dernière ne saurait désormais être considérée comme la solution satisfaisante entre toutes. Au contraire, c’est la solution de rattrapage dont il faut pouvoir disposer, au cas où toutes les autres s’avéreraient trop coûteuses ou trop aventureuses.

 

Vos Rapporteurs insistent sur le fait qu’au contraire de ce que quelques-uns veulent laisser croire, rien ne démontre pour l’instant que le stockage profond représente une solution obscurantiste, à laquelle on opposerait les voies iréniques de la transmutation intégrale ou du " provisoire définitif ".

 

Mais pour vos Rapporteurs, se préoccuper des générations futures ne signifie pas qu’il faut prendre des décisions immédiates dès lors qu’elles ne seraient pas fondées. Il ne s’agit pas non plus de ne rien faire et d’opter pour un immobilisme qui, paradoxe, serait considéré avec plus de faveur qu’une démarche responsable. Selon la formule classique, dans le domaine de la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue comme dans toute activité humaine, l’avenir s’inventera en marchant, c’est-à-dire au fur et à mesure des échecs et des avancées des travaux menés, comme c’est le cas en France, avec talent et détermination par des chercheurs et ingénieurs dévoués à leur mission.

 

 

  • quelques défis incontournables à relever en temps et en heure

 

Les échéances capitales ou les périodes critiques sont nombreuses pour les cinquante prochaines années dans le domaine de l’électricité nucléaire. Les deux schémas suivants recensent quelques dates d’un basculement possible vers une l’incohérence ou la faillite programmée d’une filière qui a contribué d’une manière décisive à l’amélioration du niveau de vie des Français. On distingue les dates clés concernant les réacteurs de celles relatives au cycle du combustible.

 

Figure 22 : principales échéances pour les réacteurs nucléaires

 

 

2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040

 


 

RNR

 

début

PX

pleine

charge

entrée

 

 

 

 

REP

 

 

 

 

 

Calendrier EPR selon projections EDF

 

 

 


 

 

 

 

 

Pour les recherches sur l’axe 1 de la loi de 1991, l’enjeu majeur des 7 années qui nous séparent du rendez-vous de 2006, c’est l’arrêt définitif de Phénix programmé pour la fin de l’année 2004. Le CEA indique qu’il recourra alors aux sources de neutrons rapides de ses partenaires étrangers et aux services de son nouveau réacteur d’irradiation, le RJH, pour continuer ses études sur la transmutation. On peut toutefois estimer qu’il y aura alors, à compter de 2006, suite à l’arrêt de Superphénix, un vide de 4 ans au minimum pour continuer des recherches ou valider des résultats, à condition toutefois qu’un futur réacteur hybride optimisé pour l’incinération des déchets voit effectivement le jour à la date prévue de 2010.

Une autre échéance fondamentale pour l’aval du cycle est celle de la construction d’une tête de série EPR. C’est en effet tout l’équilibre de l’aval du cycle qui est conditionné par la capacité de l’EPR à utiliser le stock de plutonium en en produisant moins qu’il n’en consomme. Il est en l’occurrence indispensable qu’une décision soit prise dès l’année prochaine afin qu’un EPR non seulement soit opérationnel mais aussi ait accumulé un retour d’expérience suffisant, au moment, en 2010, où commencera le processus d’instruction du renouvellement éventuel du parc nucléaire.

Mais d’autres décisions constituent des échéances capitales pour l’aval du cycle. Les observateurs avertis voient la période 2020-2030 comme la période névralgique des prochaines années. C’est à partir de cette année en effet que les réflexions sur un éventuel renouvellement des installations de La Hague devront prendre un tour très concret.

 

En effet, c’est à cette occasion que sera éventuellement amendée la règle structurante pour tout l’aval du cycle, du rendement de l’extraction du plutonium dans les solutions de retraitement.

 

Que la décision soit prise d’admettre un certain pourcentage (par exemple 2 à 3 %) de plutonium dans les déchets de retraitement, et c’est tout l’équilibre économique du cycle qui serait à terme modifié, avec une baisse corrélative du coût du retraitement, donc du plutonium et du Mox, dont l’intérêt croîtrait pour EDF en termes de fournisseur d’énergie.

 

Enfin la rétroaction des décisions sur les quantités retraitées est manifeste sur les marges d’entreposage, avec des échéances très précises, selon les cas (voir figure suivante).

 

 

Figure 23 : échéances importantes concernant l’aval du cycle

 

 

 

2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5.2. remettre à l’honneur la rationalisation des choix d’investissement

 

L’analyse de la rentabilité de dépenses de recherche est un exercice par essence délicat. La recherche a pour but d’ouvrir de nouvelles voies et pour ce faire, il est indispensable d’investir des moyens dans des travaux dont on ne peut savoir à l’avance s’ils déboucheront sur des résultats valorisables.

 

L’évaluation économique directe des efforts conduits pour l’application de la loi de 1991 est d’autant plus difficile que l’on se trouve actuellement à mi-parcours du temps imparti. De surcroît, la pratique française dans la recherche et le développement sont souvent de considérer le chiffrage a priori des dépenses nécessaires et l’évaluation a posteriori de leur utilité comme une question d’intendance sans intérêt par rapport aux progrès à apporter à la connaissance.

 

C’est pourquoi, bien qu’ils aient trouvé, auprès de leurs interlocuteurs, le meilleur accueil à leurs demandes de précisions budgétaires, vos Rapporteurs ne se risqueront pas dans le cadre du premier tome de ce rapport à donner des chiffres définitifs, c’est-à-dire précis et exhaustifs, sur les dépenses actuellement faites. Mais quelques ordres de grandeur peuvent néanmoins être fournis, en précisant qu’il s’agit de données fragmentaires et dont les bases nécessiteraient d’être explicitées et vérifiées.

 

Le tableau suivant donne à cet égard les coûts de fonctionnement et d’investissement approximatifs de quelques programmes relatifs à la loi de 91.

 

 

Tableau 50 : éléments financiers relatifs aux recherches sur l’aval du cycle

 

 

installation

fonctions-modalités

budget annuel

coût d’investissement – études et construction

Axe 1 : séparation- transmutation

budget CEA

· recherches sur la séparation et la transmutation

359 millions de F (1998)

90 millions de F (1998)
Atalante

· laboratoire de recherche et développement de procédés sur la séparation

· une part substantielle du budget CEA axe 1 correspond aux travaux conduits les 212 chercheurs

· investissement cumulé de 1,5 milliard de F sur la période 1984-1998

· investissements additionnels de 0,6 milliards sur la période 1996-2008

démonstrateur européen de réacteur hybride

· réacteur spécialisé dans les études sur la transmutation

nd

· 2 à 3 milliards de F, dont 50 % à la charge de la France

réacteur Jules Horowitz

· réacteur d’irradiation pour la recherche adapté aux études sur la transmutation

nd

· ¼ du montant total d’un investissement de 2 à 3 milliards de F

Axe 2 : stockage profond réversible ou irréversible

budget CEA  

113 millions de F (1998)

8 millions de F (1998)

budget Andra  

323 millions de F (1997)

 
Laboratoires souterrains de l’Andra sur les 3 sites de Bure, Marcoule et La Chapelle-Bâton

· laboratoires d’étude du stockage réversible ou irréversible en couches géologiques

· 728 millions de F par an en moyenne sur la période 1998-2006 pour les 3 laboratoires

2,694 milliards de F

Axe 3 : conditionnement et entreposage de longue durée en surface ou en sub-surface

budget CEA

· conditionnement et entreposage en surface

298 millions de F (1998)

31 millions de F (1998)

base de référence : Cascad – CEA Cadarache

· entreposage à sec de combustibles usés

· capacité :

· durée de vie : 50 ans

· 8 millions de F (frais de personnel inclus)

· 100 millions de F

base de comparaison : CLAB (Suède)

· entreposage en sub-surface de combustibles irradiés

· capacité : 8000 tonnes de métal lourd

· durée de vie : 60 ans

· 9,3 millions de F par an

· 5, 5 milliards de F

· 400 millions de F prévus pour le démantèlement

Ces éléments partiels doivent être mis en regard des évaluations globales dont on dispose sur le coût de l’aval du cycle. Selon certaines sources, au demeurant bien peu nombreuses, l’ordre de grandeur du coût d’investissement pour l’aval du cycle serait pour les quatre prochaines décennies de la centaine de milliards de francs. La marge d’incertitude serait très grande, dépendant des options qui seront ouvertes par la recherche. Les incertitudes majeures sont les suivantes : l’ouverture ou non d’un centre de stockage en profondeur, le renouvellement ou non des installations de La Hague, la construction ou la non-construction de réacteurs d’incinération des actinides mineurs. La base de référence reste toutefois le coût de production des 400 TWh produits annuellement en France, qui est aussi de l’ordre de la centaine de milliards de F.

 

On estime à l’heure actuelle que le coût de gestion de l’aval du cycle représente 5 à 10 % du coût du kilowattheure. Avec une gestion intégrée et complète de l’ensemble du cycle, la dépense devrait passer à environ 20 % du coût total.

 

Ce coût est évidemment à comparer à celui de la gestion des déchets produits dans d’autres filières énergétiques.

 

On ne dispose évidemment pas, pour le moment, de chiffres relatifs au coût de la nuisance occasionnée par le gaz carbonique. Ce chiffrage essentiel pour évaluer la compétitivité globale de l’électricité nucléaire reste à faire et restera sans doute longtemps dans l’ombre, compte tenu de la puissance des intérêts pétroliers en jeu.

 

La seule base de comparaison dont on peut faire état est celle du coût de désulfuration d’une centrale thermique à charbon qui est de l’ordre de 10 à 20 % du coût du kWh produit. L’aval du cycle nucléaire représenterait donc une dépense d’un ordre de grandeur parfaitement acceptable.

 

En tout état de cause, vos Rapporteurs estiment que des études économiques complètes doivent désormais être inscrites au premier rang des priorités de tous les acteurs de l’aval du cycle, et bien entendu, souhaitent les encourager.

 

 

 

Conclusion

 

Comment produire l’électricité sans le nucléaire, en France et en Europe ? Pour nos pays, la question n’a pas de solution à court terme. Elle n’en a pas non plus à moyen terme, si l’on veut respecter les engagements pris à Kyoto de réduire de 8 % à l’horizon 2008-2012 les émissions de gaz à effet de serre. Car la montée en régime des énergies renouvelables va prendre du temps et plafonner en raison des leurs contraintes techniques et de leurs coûts. Indispensable dans nos pays développés, l’électricité nucléaire le deviendra également dans les pays en développement, où les besoins en énergie vont exploser avec le développement économique. Pour vos Rapporteurs, le dilemme est le suivant : déchets nucléaires ou changement climatique.

C’est dans ce contexte que des échéances capitales se profilent à l’horizon pour la filière nucléaire française : le rendez-vous de 2006 fixé par la loi du 30 décembre 1991 pour décider de l’organisation de la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue et le renouvellement du parc nucléaire.

 

Dans son rapport de mars 1996 sur les déchets civils, votre Rapporteur insistait sur le besoin de cohérence dans l’aval du cycle. Il semble que, dans la droite ligne de cette recommandation, il soit nécessaire de rappeler, à la mi-temps du délai instauré par la loi, les règles du jeu aux différents protagonistes.

 

Il est malheureusement clair qu’aujourd’hui les acteurs de la filière nucléaire sont soumis à des influences trop nombreuses.

 

Pendant des décennies, les grands choix de la filière nucléaire ont été faits sous l’emprise de l’urgence par des cercles restreints, sans consultation de la représentation nationale, voire sans transparence vis-à-vis de l’opinion.

 

Voici venu le temps de la sollicitation tous azimuts des organismes de la filière nucléaire. Pressés de toute part de répondre à des demandes provenant de cercles divers - habilités ou non à recueillir l’information ou à orienter des programmes - il ne faudrait pas qu’ils n’aient plus le temps de faire leur métier ou qu’ils cèdent à des fausses urgences.

 

Le cas du CEA est à cet égard éclairant. Il vient d’encaisser, avec la fermeture de Superphénix, un coup d’arrêt sur son programme d’expérimentation sur les réacteurs à neutrons rapides de grande puissance. Le voici maintenant pressé de définir dans l’urgence son futur réacteur d’irradiation, destiné à la recherche fondamentale, en essayant d’en faire aussi une machine à neutrons rapides, ce qui n’était pas du tout prévu au départ. Simultanément, le soufflé médiatisé des réacteurs hybrides prend une ampleur telle qu’il lui faut aussi prendre parti sur les caractéristiques d’un réacteur hybride européen dont les contours et le coût sont aussi flous que sont nombreuses les écoles de pensée ou les stratégies budgétaires des organismes concernés.

 

Le temps de la recherche n’est pas celui de l’année calendaire ou de l’exercice comptable. Les coups de barre à intervalles trop rapprochés, surtout quand ils sont peu ou totalement non fondés, sont nuisibles au bon déroulement d’un programme de recherche fondamentale et même de recherche appliquée.

 

La confusion des rôles est aussi un grand danger qui guette la deuxième mi-temps de la période de 15 ans instaurée par la loi du 30 décembre 1991. Les glissements progressifs de la commission nationale d’évaluation dans l’exécution de la partition qui lui est confiée, en sont un exemple.

 

L’opacité des décisions a été longtemps la règle dans le nucléaire et est uniment dénoncée et regrettée. La transparence s’installe peu à peu, grâce en particulier à l’action persévérante et même inlassable de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

 

Il ne faudrait pas qu’après le temps de l’opacité, vienne le temps de l’obscurité, où, sous l’action de quelques conseillers et de lobbies occultes tout aussi simplificateurs que ne l’étaient les nucléocrates en leur temps, s’élaborent des choix tronqués déconnectés des responsabilités concrètes et de la nécessaire transparence démocratique.

 

Laissons les acteurs de la recherche jouer leur rôle. Informons clairement nos concitoyens sur les enjeux de la gestion des déchets, au fur et à mesure qu’ils sont dévoilés par des études aussi complètes que possible.

 

Réfléchissons aussi dès aujourd’hui sur les critères de décision, en particulier économiques, dont la représentation nationale devra disposer en 2006 pour faire face à sa responsabilité écrasante mais assumée avec courage de décider de l’organisation de la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS

 

 

 

Les Rapporteurs insistent sur la nécessité de :

 

 

1. Autoriser le passage à 28 tranches de centrales moxées dans des délais rapides

2. Etudier les coûts du stockage profond

3. Mettre en place une procédure assurant la reprise par les électriciens étrangers de leurs stocks de plutonium dans les meilleurs délais

4. Eviter les solutions hâtives pour le réacteur Jules Horowitz et le projet de réacteur hybride

5. Concevoir un EPR fonctionnant au combustible Mox

6. Préciser le concept et les coûts d’entreposage des combustibles irradiés non retraités

 

 

 

 

 

 

 

 

EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE

 

Le présent rapport a été examiné par les députés et les sénateurs membres de l’Office lors de la réunion qui s’est tenue à l’Assemblée nationale le mercredi 10 juin 1998.

 

A l’issue de l’exposé par M. Christian Bataille et M. Robert Galley des conclusions de leur rapport, M. Jean-Yves Le Déaut, député et président de l’Office a félicité les Rapporteurs de traiter des questions nouvelles relatives à la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue et de montrer quelles sont les réflexions et les décisions prises à l’étranger. M. Jean-Yves Le Déaut a insisté sur le parallélisme nécessaire entre la démarche de création de laboratoires souterrains et la reprise par les électriciens étrangers des déchets issus du retraitement de leurs combustibles.

 

Mme Michèle Rivasi, députée, a remercié les Rapporteurs d’avoir obtenu la transparence sur les flux de plutonium et souhaité que leur étude soit approfondie dans le domaine des coûts, de façon à permettre des choix pertinents, non seulement sur le plan technique mais aussi sur le plan économique. Mme Rivasi a également insisté sur la nécessité de porter en pleine lumière le problème des réexpéditions du plutonium et des déchets correspondant aux combustibles étrangers.

 

Mme Rivasi a proposé une réflexion portant sur la création d’une structure pluripartite qui aurait pour mission de dégager les implications financières d’éventuelles décisions sur le cycle du combustible.

 

M. Bataille a alors rappelé que l’Office n’est pas une structure de décision mais de proposition.

 

M. Yves Cochet, député, a indiqué qu’il ne pourrait voter en faveur du rapport, en raison des prises de position en faveur du nucléaire énoncées dans l’avant-propos. Pour autant, de son point de vue, les Rapporteurs ont eu raison de se pencher sur la question du plutonium, qui est actuellement une question décisive, en raison de ses implications militaires et diplomatiques. Il s’est également interrogé sur l’intérêt de continuer à retraite le combustible irradié et sur les possibilités réelles de transmutation des déchets.

 

M. Cochet, député, a également relevé que le rapport soulève nombre de questions pertinentes sur les chances de succès de certains travaux de recherche menés en application de la loi du 30 décembre 1991.

 

En réponse à une remarque de M. Cochet, M. Bataille a précisé qu’il n’avait jamais caché dans ses rapports successifs que les formations géologiques étudiées dans les laboratoires souterrains pourraient devenir, si le Parlement le décidait en 2006, des sites d’accueil pour les centres de stockage des déchets nucléaires.

 

M. Claude Gatignol, député, a souligné l’intérêt du rapport et a souligné son opportunité, alors que l’industrie nucléaire civile aborde un moment important de son histoire.

 

M. Gatignol a estimé que si le stockage en couches géologiques s’avérait inévitable, ce serait, somme toute, un inconvénient limité par rapport aux effets très positifs de l’énergie nucléaire quant à la lutte contre l’effet de serre.

 

M. Bataille précise alors que c’est grâce aux laboratoires souterrains prévus par la loi du 30 décembre 1991 que l’on pourra évaluer l’intérêt et les limites du stockage souterrain.

 

M. Serge Poignant, député, a noté que le rapport contribue à l’émergence d’une vision d’ensemble de la problématique de l’aval du cycle. Il approuve l’idée selon laquelle, malgré l’importance des décisions à prendre, des décisions trop rapides sont à éviter.

 

Les Rapporteurs ayant indiqué que le temps leur avait manqué pour approfondir l’analyse des coûts des recherches et des ébauches de solution pour la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue, l’ensemble des membres de l’Office présents donnent leur approbation à la poursuite de l’étude et à la publication d’un deuxième tome.

 

En application de l’article 32 du Règlement intérieur de l’Office, les membres de la Délégation ont décidé à la majorité d’autoriser la publication du présent rapport.

 

 

ANNEXE 1

 

 

PERSONNALITES AUDITIONNEES

 

 

Secrétariat d’Etat à l’Industrie :

M. C. MANDIL Directeur général de l'Énergie et des Matières Premières, Secrétariat d'État à l'Industrie

M. P. KAHN Chef du Service des Affaires Nucléaires

Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement :

M. B. LAPONCHE Conseiller technique

M. P. VESSERON Directeur de la Prévention des Pollutions et des Risques, Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement

ANDRA :

M. Y. KALUZNY Directeur général

M. E. BOISSAC Directeur de la Communication

CEA :

M. Y. d’ESCATHA Administrateur général

M. B. BARRÉ Directeur des Réacteurs Nucléaires

M. N. CAMARCAT Directeur du Cycle du Combustible

M. P. BERNARD Directeur du Programme loi du 30 décembre 1991

M. B. BOULLIS Responsable du programme SPIN et du programme Retraitement à moyen-long terme

M. J-C PERRAUDIN Direction de la Communication

M. R. PELLAT Haut Commissaire à l’Energie Atomique

CEA-Marcoule :

M. GUILLAMOT Directeur du CEA-Marcoule

M. COURTOIS Directeur du DRRV

M. LHOMME Directeur adjoint de la DRN

M. ELIE Chef du département de la centrale Phénix

 

 

 

CEA-Cadarache :

M. de la GRAVIERE Directeur du CEA Cadarache

M. MARTIN-DEIDIER Chef du DSD

M. IRACANE Chef du projet ETLD

M. COSTA Adjoint au directeur de la DRN

M. BONNET Chef du DEC

M. BATTESTI Chef de l’INB Cascad

CNRS - IN2P3 (Institut National de Physique Nucléaire et de Physique des Particules - institut national du CNRS) :

M. C. DÉTRAZ Directeur

COGEMA :

M. J. SYROTA Président-Directeur général

M. J-L RICAUD Directeur de la Branche Retraitement et de la Branche Industrie

M. PRADEL Directeur adjoint de la Branche Retraitement

DSIN :

M. A-C LACOSTE Directeur de la Sûreté des Installations Nucléaires

M. P. SAINT RAYMOND Directeur-Adjoint

EDF :

M. P . DAURES Directeur général

M. B. DUPRAZ Directeur adjoint de la Production et du Transport, Responsable

de l’exploitation du parc nucléaire

M. ESTÈVE Sous-Directeur délégué aux Combustibles, chef du service Combustible

M. G. MENJON Directeur des Etudes et de la Recherche

M. B. TINTURIER Contrôleur général

M. E. EUGENE Direction de la Communication

FRAMATOME :

M. J-P LANNEGRACE Directeur général adjoint et Directeur du combustible nucléaire

M. A. VALLÉE Directeur technique et Qualité Groupe

M. J-M FRANKEL Adjoint du Directeur du Combustible

 

ANNEXE 2

Glossaire des sigles et termes techniques utilisés

 

actinides mineurs éléments de numéro atomique compris entre 89 et 103 de la classification de Mendeleiev. Les actinides majeurs sont l’uranium et le plutonium. Les autres actinides sont dits actinides mineurs et comprennent notamment l’américium, le neptunium et le curium formés dans les combustibles irradiés.
activité nombre de désintégration par unité de temps qui à un instant donné se produit dans une source radioactive – unité : becquerel
AEN-OCDE Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE
AGR Advanced Gas cooled Reactor : réacteur de conception anglais – le Royaume Uni en possède 14 en fonctionnement
AIEA Agence internationale de l’énergie nucléaire – située à Vienne, cette agence intergouvernementale fait partie de la galaxie de l’ONU
ANDRA Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs
Becquerel unité d’activité pour un élément radioactif : nombre de désintégration par seconde
CNE Commission Nationale d’Evaluation créée par la loi du 30 décembre 1991 – " le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport faisant état de l’avancement des recherches sur la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue [...]. Le Parlement saisit de ces rapports l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ces rapports sont rendus publics. Ils sont établis par une commission nationale d’évaluation composée de ... "
DOE Department of Energy – équivalent de ce que serait en France un Secrétariat d’Etat à l’Energie
dose absorbée énergie cédée par le rayonnement à l’unité de masse de la matière exposée – unité : le gray
EPR European Pressurized Reactor : projet franco-allemand de réacteur à eau pressurisée du futur développé par Framatome et Siemens réunis au sein de la société NPI
équivalent de dose produit de la dose absorbée par un facteur Q tenant compte à faible dose de la nocivité relative des rayonnements – unité : Sievert (Sv) ; autre unité utilisée auparavant : le rem (1 Sv = 100 rem)
équivalent de dose efficace somme des équivalents de dose reçus par les organes et les tissus pondérés pour obtenir le risque sanitaire global – unité : le Sievert
Gray unité de dose : quantité d’énergie absorbée par la matière : 1 joule par kilogramme
GW unité de puissance installée – exemple : la France a un parc installé de 60 GW environ
h.Sv unité de dose collective : exprime le total des doses de radioactivité reçues par une population donnée
limite annuelle d’incorporation de dose la réglementation fixe pour chaque radioélément des limites annuelles d’incorporation par ingestion ou inhalation (LAI). Elles sont exprimées en becquerels
mSv/an unité de débit d’équivalent de dose
Mox Mixed Oxide Fuel
MWj/t mégawattjour par tonne : unité exprimant le taux de combustion d’un combustible nucléaire
période la période radioactive est le temps nécessaire pour qu’une quantité donnée de matière radioactive perde la moitié de sa radioactivité. En 2 périodes, la radioactivité tombe à ¼ de son niveau initial. En 10 périodes, elle tombe à 1/1000 ème. En 20 périodes, elle tombe à environ 1/1 000 000 ème.
produits d’activation radioéléments formés par irradiation des gaines de combustible, des embouts et autres matériaux de structure des réacteurs nucléaires
produits de fission les deux noyaux formés après la fission de l’uranium ou du plutonium ainsi que leurs descendants sont appelés produits de fission
réacteur hybride réacteur nucléaire sous-critique dans lequel un flux extérieur de neutrons additionnels est inséré ; ce flux de neutrons est créé par spallation
REN réacteur à eau naturelle par opposition au réacteur à eau lourde
REP réacteur à eau pressurisée – exemple : les réacteurs du parc EDF
RJH projet de réacteur d’irradiation du CEA
séparation opération chimique consistant à isoler les corps simples d’un mélange
sievert unité de dose absorbée pondérée d’un facteur Q et exprimant le risque relatif correspondant à la qualité du rayonnement qui l’a délivré. Q est fonction du nombre de paire d’ions créés par unité de longueur le long de la trajectoire de la particule provoquant l’ionisation. On a l’expression suivante :

H (dose exprimée en Sievert) = D (exprimé en gray) x Q. En pratique, on prend Q=1 pour les électrons, les rayons g et les rayons X, Q=20 pour les rayons a et Q=10 pour les neutrons

spallation phénomène de libération de neutrons par un faisceau de particules à haute énergie, par exemple des protons, percutant une cible constituée d’un métal lourd, par exemple le plomb
transmutation dans le cas des déchets radioactifs à haute activité, opération de transformation des radionucléides à vie longue dans des noyaux stables, en transitant éventuellement par des corps à durée de vie nettement plus courte
TWh térawattheure : unité de production d’électricité ; 1 TWh = 1012 wattheure ou 109 kilowattheure ; exemple : la production annuelle française d’électricité nucléaire est de l’ordre de 400 TWh
UNGG uranium naturel graphite gaz : première génération des réacteurs nucléaires français fonctionnant avec de l’uranium naturel comme combustible, du graphite comme modérateur et du gaz carbonique comme caloporteur
vie longue un radioélément est considéré comme étant à vie longue lorsque sa période est supérieure à 30 ans et inférieure à 1 milliard d’années. En dessous de 30 ans, il est considéré comme étant à vie courte. Au-dessus d’un milliard d’années, il est considéré comme stable.

 



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